Par Hmida Ben ROMDHANE Le fait d'être élu par la moitié de son peuple n'est pas une garantie contre la dictature. Cette vérité, on la vérifie chaque jour en Turquie où le président élu Recep Tayyip Erdogan se comporte en autocrate qui prend tout seul les décisions vitales, engageant son pays dans des voies compromettantes pour son intérêt et les intérêts du peuple turc. Quand ce dictateur rêve de restaurer la « grandeur de l'empire ottoman », quand il est saisi par des accès de folie de grandeur, quand il est obsédé par l'idée de renverser son homologue syrien et transformer la Syrie en pays vassal comme au temps de l'empire, les résultats pour la Turquie et pour la région sont forcément désastreux, comme on le voit aujourd'hui. En Turquie, les Kurdes, dont le nombre s'élève à une quinzaine de millions, ne veulent ni faire sécession ni faire régner la pagaille comme le prétend la machine de propagande d'Erdogan. Ils veulent bénéficier des mêmes droits que le reste de la population ni plus ni moins. La preuve est que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avait renoncé à la lutte armée en 2013 dans l'espoir de voir les revendications des Kurdes acceptées pacifiquement par le pouvoir. Mais visiblement, le gouvernement d'Erdogan n'a aucun intérêt à ce que les Kurdes renoncent à porter les armes, car il perd ainsi son principal atout contre eux : l'accusation de terrorisme. Les exactions policières et les bombardements contre les Kurdes ont repris après deux ans de trêve, le but étant d'obliger le PKK à reprendre les armes afin que la machine de propagande retrouve son cheval de bataille : l'accusation de terrorisme, et que le gouvernement retrouve l'alibi qui lui permet d'envoyer aux calendes grecques les légitimes revendications des quinze millions de Kurdes. Sur le plan régional, la folie des grandeurs d'Erdogan est largement responsable des incendies sans fin qui consument ses voisins syrien et irakien. On a évoqué dans ces mêmes colonnes en détail les relations privilégiées qu'entretient le gouvernement d'Erdogan avec les terroristes de Daech et d'Annosra. Qu'il s'agisse du transit des terroristes, de l'armement lourd ou du pétrole syrien, le monde entier est au courant aujourd'hui du trafic à grande échelle le long de la frontière syro-turque. Inutile d'y revenir encore. Mais il y a un scandale dans lequel le gouvernement d'Erdogan est impliqué jusqu'au cou et qui, bizarrement, est ignoré par la grande presse américaine et européenne qui, d'habitude, est friande de ce genre d'informations. Il s'agit plutôt d'un complot de très bas étage tiré tout droit du « Prince » de Machiavel. Rappelons-nous le 21 août 2013. Des centaines de Syriens sont morts par une attaque au gaz sarin. Le régime syrien était pointé du doigt et toute la grande presse internationale aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi la presse en Turquie et dans les pays du Golfe se sont engagées dans une campagne de propagande anti-syrienne d'envergure, visant à pousser Obama à prendre la décision de bombarder Damas en représailles. L'intervention géniale du président russe au moment le plus crucial, proposant la renonciation par la Syrie à son stock d'armes chimiques contre la renonciation par Washington de bombarder Damas a sauvé le pays et la région d'un désastre cauchemardesque qu'aurait été l'arrivée des terroristes de Daech et d'Annosra à Damas... En acceptant la proposition de Poutine, Obama avait, dans les faits, renoncé à baliser la route de Damas à Jabhet Annosra et à Daech, et ce fut la plus sage décision de sa présidence. Obama ne devrait pas regretter sa décision, car la suite des événements, les enquêtes et les analyses balistiques ont montré qu'il s'agit d'un complot dans lequel le régime d'Erdogan est impliqué jusqu'au cou. Tout d'abord les analyses balistiques ont démontré que la portée de la roquette sur laquelle a été chargée la capsule du gaz sarin est bien inférieure à la distance séparant le lieu du drame de la base la plus proche de l'armée syrienne. Par conséquent, la roquette mortelle n'a pu être tirée que d'une base sous domination terroriste. Ensuite, il y a des hommes courageux en Turquie qui ont dévoilé et dénoncé le complot dans lequel est impliqué Erdogan. Parmi eux il y a Eren Erdem, député appartenant au principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP). Ce député a tenu une conférence de presse qui a fait l'effet d'une bombe. Il a parlé d'une enquête menée par le procureur de la ville d'Adama dans le sud de la Turquie, et ce dans le cadre de l'affaire criminelle portant le numéro 2013/120. Selon Eren Erdem, le procureur en charge de l'enquête est en possession d'informations importantes selon lesquelles un terroriste d'Al Qaïda du nom de Hayyam Kasap a reçu la capsule de gaz sarin en Turquie et l'avait transportée en Syrie. Le député a donné plus de détails encore dans sa conférence de presse : « Des écoutes téléphoniques ont révélé le processus par lequel a été procuré le gaz sarin à une adresse spécifique, ainsi que le processus par lequel ont été procurées les roquettes qui devaient faire exploser les capsules contenant le gaz toxique. Treize personnes ont été arrêtées au début de l'enquête, mais ont été vite relâchées, ce qui réfute les prétentions du gouvernement de combattre le terrorisme. » N'est-ce pas extraordinaire que des informations aussi explosives ne trouvent aucun écho dans les grands médias internationaux ? Il est vrai que de telles informations blanchissent Bachar Al Assad et ternissent l'image déjà fortement ternie du président turc pour qui tous les coups bas sont permis pour se débarrasser de son homologue syrien qui ne lui a rien fait. Ou plutôt si, une chose : Bachar s'est fermement opposé au tracé du gazoduc dont rêve Erdogan et qui devrait fournir le gaz qatari à l'Europe à travers l'Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie. Mais ça, c'est une autre histoire...