Par M'hamed JAIBI Béchir Ben Yahmed, combattant de la libération puis ministre à l'indépendance, bourguibiste invétéré bien que critique de la première heure quant à l'option du «pouvoir personnel», est sans doute mal placé, bien que lui-même djerbien, pour nous conter objectivement les péripéties du désaccord historique ayant opposé Salah Ben Youssef et Habib Bourguiba. Cependant, lorsqu'il produit à l'appui un document inédit dont l'authenticité est vérifiable, sa version des faits prend place parmi les faits historiques vérifiés. Le propos n'est nullement, ici, de revenir aux monstrueuses polémiques antibourguibiennes ayant infesté les trois premières années de la révolution, accablant le zaïm et glorifiant son lieutenant radicalisé, mais de tenter de clore le dossier noir d'une période charnière de notre histoire, qui a vu les leaders du mouvement de libération nationale en venir aux mains jusqu'à s'entretuer. Ce que ce grand journaliste nous révèle, preuve épistolaire à l'appui, c'est que l'attaque de Ben Guerdane n'est pas sans précédent historique et que notre pays «avait déjà été agressé, à partir de la Libye, par des jihadistes tunisiens, ancêtres du commando du 7 mars». Le précédent historique qui a eu lieu en 1956, juste au lendemain de l'indépendance, «a connu des hauts et des bas, s'est effiloché peu à peu et a fini dans l'échec». Cette révolte était menée à partir de la Libye par Salah Ben Youssef qui se proposait de conquérir le sud de la Tunisie à la tête d'une «armée de libération de la Tunisie» qu'il avait constituée, selon les propres termes de Béchir Ben Yahmed, «avec l'argent des services spéciaux égyptiens dirigés alors, pour l'Afrique du Nord, par Fathi Al-Dib, qui se prenait pour le proconsul du Maghreb arabe». Et BBY de rappeler que «l'ambitieux» Salah Ben Youssef avait été «le numéro deux du Néo-Destour, son secrétaire général et son premier négociateur avec la France», et que l'autonomie interne était selon lui «un pas en arrière», et l'indépendance n'était, avec Bourguiba, qu'un «trompe-l'œil». Ne pouvant être vraie «qu'avec lui» en tête. Morale de l'histoire : si le peuple de Ben Guerdane s'est dressé comme un seul homme, comme une seule femme, contre les terroristes traîtres, c'est sans doute par attachement à la mère patrie, mais aussi en souvenir du loyalisme déjà manifesté par les sudistes tunisiens 60 ans plus tôt. Cela dit, il y a un grand intérêt à rehausser l'épopée nationale de la libération et à en oublier les phases de division ou d'égarement qui appartiennent désormais à l'histoire.