L'économie solidaire sociale, un gisement non exploité Le rideau est tombé sur les neuf ateliers de travail préparatoire, prélude au dialogue national sur l'emploi, dont les débouchés seront, sous peu, révélés. Embauche dans la fonction publique et mécanismes précaires d'emploi, rôle du secteur privé, installation à son propre compte et création d'entreprises, économie solidaire sociale, potentiels sous-exploités, mesures urgentes pour les sans-emploi, travail à l'étranger et cadre réglementaire et institutionnel, autant de thématiques d'envergure abordées, trois jours durant, avec l'intérêt qu'on ne cesse d'accorder à cette question de grande priorité. De quoi donner du grain à moudre, dans l'optique de tracer les contours d'une stratégie future 2016-2020. Mais, en l'absence d'un modèle de développement ambitieux, ce débat sporadique, dicté par les convulsions de la conjoncture révolutionnaire, s'annonce autant prosaïque que redondant. Et si l'on remontait l'histoire, l'on se rend compte que l'emploi a toujours été un dossier brûlant. La politique de Bourguiba l'avait abordé, en tant que priorité absolue, aux côtés de l'éducation et la santé. Il en était de même à l'époque de Ben Ali qui en a fait, vainement, son cheval de bataille. D'un quinquennat à l'autre, cette question revient sur le tapis, sans qu'on n'en vienne à bout. Aucune solution radicale n'a pu lui être trouvée. Et bien qu'il figure au cœur de l'action gouvernementale, l'emploi, ou le chômage plus exactement, continue à être de plus en plus inquiétant. Le flux de postulants allant crescendo, sur un marché du travail déjà saturé par près de 800 mille demandeurs, le problème ne saura être résolu aussi facilement qu'on le pense. Faut-il revoir nos comptes pour mieux gérer la situation? Le taux de chômage actuel de 15,4% devrait diminuer à 11% d'ici cinq ans. Serait-il possible de le réaliser ? Il y a si bien longtemps qu'on n'a jamais prévu un tel objectif, même au cours des périodes de croissance économique. L'enjeu est de taille. L'après-Etat providence ! Toujours est-il que les bonnes volontés font, parfois, ce que l'argent ne peut réaliser. Cependant, comme l'a maintes fois répété M. Habib Essid, chef du gouvernement, nul ne possède une baguette magique pour désamorcer la crise. Le « miracle tunisien » qu'on avait, à un certain moment, vanté à outrance n'est, en fait, qu'un mensonge du règne révolu. Dérisoire, en effet, de croire encore à l'Etat providence. Son rôle s'est réduit à mieux gérer ses fonds de gestion et accorder ses violons sur un partenariat public-privé. Aussi affaibli soit-il, le système de gouvernance n'est pas près de satisfaire toutes les demandes additionnelles d'emploi. La balle est dans le camp des privés qui devraient s'engager à investir plus dans des projets à forte employabilité. Emploi-développement, l'équation est d'autant plus complexe qu'elle incarne le défi de la croissance. Cela veut dire, sans détour, qu'un point de plus dans le PIB est l'équivalent de presque 20 mille postes d'emploi à pourvoir. Ceci dépend de cela. Soit, d'après les experts, quelque 100 mille emplois exigent, en moyenne, un taux de croissance égal à 5%. Avec plus de huit cent mille chômeurs, cela nécessite une mobilisation massive à l'échelle nationale. De ce fait, la mentalité d'assisté devrait également cesser. De même pour les salaires rémunérés à la merci de la fonction publique. Le compter-sur-soi, avec le soutien de l'Etat et d'autres mécanismes d'appoint, serait le sésame d'avenir. Et le chef du gouvernement et le ministre de l'Emploi l'ont beau suggérer à l'ouverture du dialogue national sur l'emploi. Son cadre général de réflexion commande ainsi une vision globale et participative, à même de se référer au principe du pacte social tripartite, signé le 14 janvier 2013, entre le gouvernement, d'une part, l'Ugtt et l'Utica, de l'autre. Cela dit, l'emploi décent est mis en avant, en tant qu'un attribut social, mais aussi un droit acquis. Il est constitutionnellement garanti. D'ailleurs, le diagnostic de l'état des lieux tel que présenté dans un document de presse a exposé le syndrome du chômage comme un mal structurel. Un cumul massif des sans-emploi qui est essentiellement à l'origine des facteurs d'ordre politique, économique et éducatif. Entre la formation des compétences et les besoins pressants des entreprises, il y a une inéquation qui a duré trop longtemps. C'est que l'école tunisienne demeure une fabrique de chômeurs, aux dires de M. Zied Laâdhari, ministre de tutelle. D'autant que l'appareil productif s'est trouvé dans l'incapacité de générer davantage de projets à fort potentiel d'emplois. Et encore moins d'opportunités d'intégration dans l'économie de marché. Une sorte de système machiavélique hostile à l'esprit solidaire. Alors que M. Habib Essid a bel et bien insisté sur l'apport de l'économie solidaire sociale en matière de développement. Gisement, jusque-là, non exploité, elle n'en représente que moins de 1%, selon M. Houcine Abassi, secrétaire général de l'organisation ouvrière, l'Ugtt. A ce niveau, des représentants de la société civile nationale ont répondu favorablement. Le fondateur de l'Organisation des entreprises arabes pour l'investissement et la coopération internationale (Orea), qui vient d'être lancée, M. Béchir Said, est, on ne peut plus clair et précis : « La réflexion sur un modèle de développement alternatif ne peut se passer de l'épargne et de l'économie solidaire et sociale ». Leur impact sur la génération de postes d'emploi et la promotion des régions les plus démunies n'est plus à démontrer. Loin des caprices du néo-libéralisme et du capitalisme sauvage. De même, le Ftdes, Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, a défendu ce choix. Mais, pour lui, le gouvernement doit prendre son courage à deux mains et finir avec l'emploi précaire. Les ouvriers temporaires des chantiers en souffrent le plus, dans l'espoir de voir leur situation rétablie. Un objectif transversal De toute façon, ce débat sur l'emploi aura à réunir toutes les parties prenantes autour de la réalité et des perspectives du secteur. Il est aussi question de dénicher de nouvelles potentialités d'insertion dans la vie active. L'essentiel consiste à apporter des solutions concrètes au problème du chômage, à travers une vision pour l'avenir tant proche que lointain. Et là, le ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi a parlé du phénomène de par son ampleur à court et à long terme. Il y a là des solutions urgentes et d'autres en gestation. Les mesures prises par le chef du gouvernement, fin janvier dernier, s'inscrivent dans cette logique, en réponse aux mouvements de protestation ayant secoué plusieurs régions, du sud au nord du pays. Il s'agit de recruter, au titre de 2016, 23 mille bénéficiaires dans la fonction publique, rompre avec l'emploi précaire et ne pas considérer l'autofinancement comme préalable à l'octroi de crédits au profit des jeunes promoteurs. Il faut dire que le dialogue national sur l'emploi n'est plus uniquement un forum d'échange d'idées, mais un cadre ambitieux de compromis et des modes opératoires susceptibles d'atténuer le fléau du chômage. Il en ressortira des recommandations à concrétiser : déclaration de Tunis pour l'emploi, une série de mesures urgentes à cet effet, des lignes directrices d'une stratégie nationale d'emploi et un rapport détaillé des travaux des commissions issues des neuf ateliers précités. L'emploi étant l'objectif transversal de toutes les politiques sectorielles.