Par M'hamed JAIBI Le projet de loi devant amender la loi de 1985 sur la retraite dans le secteur public, dans le sens de l'opportunité du relèvement facultatif de l'âge de départ à la retraite pour ceux qui le souhaitent, fait l'objet de vives discussions de dernière minute. L'Ugtt, notamment, tient à voir respecter certaines conditions qu'elle a posées, sachant qu'elle reste attachée au dogme de «la retraite à 60 ans», cher aux syndicalistes du monde entier, mais que la réalité rend, désormais, anachronique. Les exigences de l'Ugtt A l'ARP, on affirme prendre en compte «les accords passés entre le gouvernement et l'Ugtt», ce que l'on s'engage à ce que le recul optionnel de l'âge de la retraite sera de deux à cinq ans, pas plus, et qu'il devra obligatoirement faire l'objet d'une demande de la part de l'affilié, qui doit intervenir deux ans avant l'âge légal de départ à la retraite. Une condition qui, dans la réalité des choses, retardera de deux années pleines l'application de la réforme ! Est-ce vraiment utile ? Si l'on est effectivement convaincu du bien-fondé et de l'inéluctabilité de cette réforme, pourquoi donc la repousserait-on ainsi de deux ans. L'inversement de la pyramide des âges Le déficit des caisses sociales est une réalité amère nécessitant des solutions urgentes et une vision d'avenir globale qui tienne compte de tous les aléas et éventualités. Les déficits constatés, aujourd'hui, ne sont pas nés de la révolution, mais faisaient déjà, sous Ben Ali, l'objet des craintes des autorités, au point que divers scénarios avaient été avancés, mais sans donner lieu à des décisions effectives. Même si l'option de la retraite à 62 ans semblait s'imposer à tous depuis 2007. La révolution est venue aggraver ces déficits et les a rendus inquiétants, nécessitant des réformes immédiates et des restructurations. Une réalité amère que la révolution a aggravée A l'inversement de la pyramide des âges dû à l'amélioration de l'espérance de vie des Tunisiens, se sont ajoutées, depuis 2011, la crise économique et l'effervescence sociale qui ont ralenti les créations d'entreprises et d'emplois nouveaux, affectant ainsi l'évolution du nombre des nouvelles affiliations aux caisses sociales. Sans oublier les faillites et les licenciements. En parallèle, un nombre important de régularisations des situations des bénéficiaires de l'amnistie ont spécialement aggravé le déficit de la Cnrps, posant carrément un problème de viabilité de ce régime. Reculer l'âge... jusqu'où ? La solution du recul de l'âge est loin d'être tunisienne. Elle est déjà intervenue dans de nombreux pays pour éviter d'accentuer davantage la pression des charges sociales, laquelle défavorise l'emploi et décourage l'investissement. Mais ce n'est pas une solution miracle et l'on ne peut y recourir indéfiniment. Un salarié peut bien décrocher à 65 ans au lieu de 60 ans, mais on ne pourra pas lui demander indéfiniment d'ajourner sa retraite. Sans compter qu'il s'agit d'un repos bien mérité faisant partie des acquis sociaux historiques. Et c'est sans doute à ce niveau que la réforme indispose l'Ugtt. D'indispensables restructurations Le fait est que cette réforme de l'âge de la retraite est, en définitive, une réformette. Le système, constatant une affectation de son équilibre financier, va retenir davantage l'employé pour rééquilibrer les flux. En optant pour un recul facultatif volontaire, la Tunisie atténue le caractère contraignant de la mesure, mais il reste à en mesurer l'attractivité. Si l'ajournement de sa retraite ne lui procure qu'un avantage comparatif mineur, le salarié n'y recourra pas, et la réforme n'en sera pas une. D'où l'impératif de restructurations devant doter les régimes de retraite d'une nouvelle cohérence, en rapport notamment avec les avantages que l'on peut tirer d'un ajournement volontaire de son départ à la retraite. L'inévitable assainissement Les adversaires de cette réforme évoquent, en guise d'alternative, l'assainissement des comptes et de la gestion de nos caisses sociales. Et s'il se trouve qu'ils ont tort de réfuter les avantages évidents, vérifiables et immédiats de la réforme, ils sont dans leur droit quant à la nécessité d'assainir nos caisses et de rationaliser leur gestion. Mille choses sont à critiquer ou à dévoiler, qui méritent une lecture critique dans la forme et le fond. Nos caisses ont été conçues à une époque de croissance économique avec une population jeune. Elles devaient gérer la prospérité et s'étaient transformées en banques, en sociétés de placements et en promoteurs immobiliers. Elles doivent affronter désormais la crise, avec une population vieillissante et une opinion publique attachée à la rigueur de la bonne gestion.