Pour un fumeur, l'arrêt du tabac est un véritable défi, étant donné que le manque de nicotine peut être créateur de stress et d'angoisses. Et donc, dans plus de 90% des cas, il est souvent difficile d'atteindre cet objectif seul et de faire face aux envies irrépressibles de fumer... Malgré l'augmentation continue des prix des paquets de cigarettes, l'interdiction de fumer dans les lieux publics et l'arrivée de la cigarette électronique depuis des années, le tabagisme ne cesse de prendre de l'ampleur dans notre pays, notamment chez les adolescents et les enfants qui apprennent à fumer dès leur plus jeune âge. Mais lutter contre ce fléau n'est pas seulement interdire de fumer dans les lieux publics, c'est aussi s'inscrire dans une politique proactive et de prévention qui prévoit, notamment, la sensibilisation des patients et des jeunes à l'importance d'arrêter de fumer et de se prémunir contre les méfaits du tabac qui a réussi à faire des ravages, responsables de milliers de décès chaque année. Partant de ce constat, la plateforme destinée aux patients et aux médecins, Med.tn a organisé jeudi une table ronde sur « La réduction des méfaits du tabagisme». Etaient présents à ce débat le Dr Dhaker Lahidheb, cardiologue et ancien professeur à la faculté de Médecine de Tunis et à l'hôpital militaire, le Dr Anas Laouini, sexologue, addictologue, psychanalyste, psychothérapeute, et le Dr Yousra Jemli, psychiatre, psychothérapeute, sexologue et addictologue, qui ont échangé autour des méfaits du tabagisme et les politiques de santé pour combattre ce fléau. Les fumeurs ne sont pas des coupables ! Dans une déclaration accordée à La Presse, Dr Yousra Jemli a précisé que pour un fumeur, l'arrêt du tabac est un véritable défi, étant donné que le manque de nicotine peut être créateur de stress et d'angoisses. Et donc, dans plus de 90% des cas, il est souvent difficile d'atteindre cet objectif seul et de faire face aux envies irrépressibles de fumer. Mais cela ne doit pas être une crainte car s'il est bien accompagné, un fumeur peut arrêter le tabac en un temps moins long que sa durée réelle. « Il faut le dire, le vrai problème avec les fumeurs est l'attrait, et cela est encore vrai dans notre société, car il est très difficile de motiver un fumeur à abandonner la cigarette, à moins de lui offrir une alternative... A mon avis, les fumeurs ne sont pas des coupables, mais des victimes d'une addiction et il faut seulement décider de se soigner de cette addiction. Et donc aujourd'hui, il est indispensable d'entamer un changement radical de comportement à l'égard du concept de l'arrêt du tabagisme car tout le monde est conscient des dangers du tabac, mais c'est le passage à l'action et à la pratique qui est en péril », a-t-elle souligné. Dans ce même cadre, Dr Jemli a expliqué que l'addiction est déjà une pathologie cérébrale parce que généralement on a l'impression que c'est un problème de motivation et de volonté et c'est pour cela que les gens font des rechutes quand ils arrêtent de fumer. Pour ce faire, il faut expliquer que c'est une pathologie à la base, liée à des modifications neurologiques ou ce qu'on appelle, aujourd'hui, la néro adaptivité. Une prise en charge biologique et comportementale A une question sur l'accompagnement et la prise en charge thérapeutique des patients, Dr Yosra Jemli a précisé qu'il s'agit d'une prise en charge à la fois biologique et comportementale. En effet, l'addiction à la nicotine est une addiction biologique vu que sa consommation entraîne une sécrétion de neurotransmetteurs qui sont très importants pour le cerveau et qui sont responsables des effets de la récompense. Il s'agit aussi d'une addiction comportementale liée à certaines habitudes elles-mêmes dues à la consommation ou à l'expression des émotions négatives et positives… Pour le traitement biologique, il vise à réduire l'envie de la consommation en bloquant les récepteurs de la nicotine pour diminuer le manque..., et là, il faut mentionner qu'il y a des traitements à long terme qui vont désaccoutumer les récepteurs. Quant au traitement comportemental, c'est le plus important et il faut le viser. Il s'agit, en fait, d'expliquer comment gérer la rechute (qui est un risque présent dans plus de 80% des cas), une fois que le patient a obtenu un sevrage à la nicotine. « C'est comment gérer les rechutes, les émotions négatives, les situations à risque...C'est aussi comment développer des outils qui aident à projeter d'autres compétences sociales pour remplacer cette habitude de consommer... Et donc, c'est une prise en charge pluridisciplinaire en fonction de complications qu'on doit évaluer (organiques, cardiovasculaires, respiratoires...). Il y a aussi une prise en charge psychologique, soit avec un psychiatre ou un psychologue, qui va chercher s'il y a des comorbidités psychiatriques à traiter car quand il y a une dépression, il faut la traiter d'abord... Il faut chercher aussi s'il y a des pathologies psychiatriques qui poussent le patient à consommer... On constate, en outre, une prise en charge sociétale; il est intéressant de traiter le tabac, mais il faut traiter aussi les facteurs environnementaux liés à cette addiction », a-t-elle encore précisé. Plus des 2/3 de la population fument à partir d'un âge précoce Pour sa part, le Dr Dhaker Lahidheb a précisé que parmi les autres risques liés au tabagisme, c'est que le fumeur va passer entre 20 et 25 ans de sa vie en souffrance. Par ailleurs, à l'époque, 1/3 de la population de plus de 40 ans fumait, alors qu'aujourd'hui, on constate que plus des 2/3 de notre population fument à partir d'un âge précoce. Et là, il existe le risque de conversion à un tabagisme lourd et à la dépendance à la nicotine où on consomme plus de 20 cigarettes par jour à l'âge de 18 ou 20 ans, ce qui accélère le vieillissement des artères (qui se traduit par un épaississement et une rigidification de la paroi des artères) à l'âge de 30 ans. Dans ce cas, la nicotine favorise le rétrécissement brusque des artères, puisque la fumée diminue l'apport d'oxygène aux tissus et maintient un taux excessif d'oxyde de carbone dans le sang. Cette situation va aboutir à des événements cliniques cardio- et cérébro-vasculaires dont les conséquences sont très importantes en termes de morbi-mortalité car au-dessus de 20 cigarettes par jour, le risque d'infarctus du myocarde est multiplié par cinq et celui de mort subite par six. « A cela, on ajoute que la Tunisie est classée dans la zone rouge où les facteurs de risque sont très élevés. Mais 15 ans après avoir arrêté de fumer, l'espérance de vie redevient identique à celle des personnes n'ayant jamais fumé... La diminution du risque de cancer est d'autant plus importante que l'on arrête tôt, mais elle est également significative si l'on arrête plus tard... D'une manière générale, la suppression du tabac permet de diminuer de 50 % la mortalité d'origine vasculaire », a-t-il encore souligné. Le tabagisme : un conformisme De son côté, le Dr Anas Laouini a affirmé que l'être humain, qui est de nature obéissant à 70%, n'est pas conduit par sa conscience. Et dans le cas du tabagisme, le conformisme a la part du lion dans la prise de décision et dans le comportement de l'être humain d'une manière générale. C'est un suivi aveugle de leaders, modèles, influenceurs... On continue donc à entrer en tabagisme dans certaines tranches d'âge où la valorisation par l'entourage est grande. Mais là, il faut mentionner aussi que le tabagisme est un outil social risqué, puisqu'il agit et évolue différemment selon l'âge... De manière générale, le comportement des individus est influencé par l'attention qu'ils portent aux informations et aux normes sociales et les décisions de commencer à fumer ou d'arrêter de fumer sont en fonction de ce que font les autres, de ce qu'ils pensent, de ce qu'ils veulent…, les non-fumeurs sont valorisés par leur entourage et les fumeurs sont encouragés à arrêter, mais le contraire est aussi vrai ! En ce qui concerne le rôle de l'Etat dans ce combat, les intervenants n'ont pas manqué de rappeler que les mesures et les lois annoncées sont conformes aux normes européennes, mais on constate toujours un manque de contrôle surtout au niveau des adolescents et dans le milieu scolaire; il est vrai qu'il existe des lois qui contrôlent la consommation où on oblige les gens à ne pas fumer dans les espaces publics, outre la taxation sur le tabac..., mais malgré ça, il y a une consommation très élevée surtout dans le milieu scolaire où le contrôle doit être renforcé étant donné que plus que 50% des jeunes consomment aujourd'hui du cannabis et du tabac.