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Wajdi Ben Rejeb, universitaire spécialiste en économie, à La Presse : «En finir avec l'Etat actionnaire...»
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 04 - 2022

En Tunisie, le secteur public est en train de plomber notre économie et l'Etat n'a pas été souvent un bon gestionnaire. La situation des entreprises publiques est la même depuis des années ; les mêmes idées se répètent, trop de lourdeur et de temps gaspillé, les solutions d'hier sont plus coûteuses aujourd'hui et le résultat est toujours l'accumulation des pertes. Quels sont les principaux maux des entreprises publiques tunisiennes qui connaissent aujourd'hui de plus en plus de difficultés de rentabilité et de compétitivité ? Sommes-nous pour la privatisation ou le désengagement de l'Etat de ces entreprises pour améliorer leur rentabilité ? Comment peut-on les sauver ? Autant de questions auxquelles l'universitaire spécialiste en économie Wajdi Ben Rejeb tente de répondre dans cet entretien.
Depuis des années, le pays connaît un nombre croissant d'entreprises publiques, dû à l'interventionnisme accru de l'Etat dans l'économie. Quelle finalité pour ces entreprises ?
Selon les dernières statistiques, en Tunisie, on compte pas moins de 111 entreprises publiques, ce qui est considéré comme un chiffre élevé en comparaison des autres pays de la région Mena (au Maroc par exemple, on dénombre 70 entreprises publiques). C'est en fait le chiffre le plus important à l'exception de l'Egypte qui compte 300 entreprises publiques. Mais ce pays n'est pas le bon exemple puisque l'armée a commencé à contrôler tout, pour des raisons historiques et autres. Donc, les conditions de comparaison entre les deux pays ne sont pas parfaitement adéquates.
Revenons maintenant à l'historique de cette situation. Il faut préciser que ce choix a été dicté par le contexte dans lequel notre pays a eu son Indépendance et la volonté de l'Etat tunisien de fonder les piliers d'une économie moderne, puisqu'il n'y avait pas un secteur privé fort à l'époque. Donc, le gouvernement qui a pris la relève après l'Indépendance a créé des entreprises publiques pour aider l'économie nationale à décoller puisqu'il n'y avait pas de capitalisme privé. A l'époque, l'Etat a, bel et bien, joué son rôle et a réussi à mettre en place les fondations d'une économie moderne. Mais aujourd'hui, les choses ont changé, le rôle même de l'Etat a changé, l'économie de marché s'est installée..., mais malgré ces changements, l'Etat tunisien continue toujours avec la même philosophie et la même logique des années 60-70.
Aujourd'hui, on constate la détérioration de la situation de ces entreprises qui connaissent des pertes nettes et énormes avec en tête la Steg, Transtu, Tunisair, le Groupe chimique tunisien... Pratiquement, 80% de ces entreprises sont déficitaires et leur déficit ne cesse de s'aggraver d'une année à l'autre. Personnellement, je pense que leur situation est pire dans la réalité puisqu'il y a un retard au niveau de la divulgation des chiffres. Aujourd'hui, on parle des chiffres de 2019 et de 2020, alors qu'on est pratiquement à mi-2022. Cela renseigne un peu sur la culture et sur les exigences de transparence et de gouvernance au sein de ces entreprises. Donc, hormis les entreprises publiques cotées en Bourse, qui sont une minorité, dans certains cas, les chiffres annoncés sont un peu biaisés puisqu'ils ne reflètent pas la situation réelle, qui est beaucoup plus grave qu'on le croit.
Comment ces entreprises sont-elles arrivées à ce stade de déficit et ne peuvent continuer à fonctionner que par une aide de l'Etat ?
Malheureusement, la liste des facteurs ayant conduit à cette situation est longue et pourrait l'être beaucoup plus. Il y a tout d'abord le surendettement des entreprises publiques, un mal et une conséquence de la mauvaise gestion. Parlons chiffres, le solde de la dette des établissements publics envers l'Etat a continué sa tendance haussière pour atteindre 6.024 millions de dinars en 2019 contre 6.520 millions de dinars en 2020. S'agissant du solde des créances des entreprises publiques envers l'Etat, il a atteint 9.301 millions de dinars en 2020. Idem pour le solde de la dette croisée entre structures publiques qui a continué à grimper entre 2018 et 2020. Cet état de fait a engendré une détérioration de la situation financière de plusieurs établissements publics, particulièrement ceux du secteur de l'énergie, des hydrocarbures et des caisses de sécurité sociale. A titre d'exemple, les créances de l'Etap envers la Steg et la Stir ont atteint respectivement 774 millions de dinars et 1.034 millions de dinars à fin juillet 2021, tandis que les impayés de la Cnam envers la Pharmacie centrale s'élèvent à 390 millions de dinars. C'est donc un cercle vicieux d'endettement où une seule entreprise qui n'arrive pas à payer ses dettes va pénaliser toutes les autres qui, à leur tour, n'arriveront pas à assurer le recouvrement et à obtenir l'argent nécessaire qui devrait être réinjecté pour continuer à fonctionner. Malheureusement, cette spirale d'endettement s'est aggravée de plus en plus bien que l'Etat tunisien ait injecté l'année dernière près de 10 milliards de dinars pour maintenir ces entreprises publiques en activité, rien que pour qu'elles ne ferment pas leurs portes et ne mettent pas la clé sous le paillasson, ce qui est énorme puisque ce montant représente 19% du budget de l'Etat.
Parmi les raisons qui expliquent ce problème de surendettement, il y a la masse salariale, le sureffectif et la faible productivité, trois éléments qui sont fortement interdépendants. En regardant les chiffres publiés par le ministère des Finances en 2019, dans plusieurs entreprises publiques, la masse salariale est égale ou supérieure au déficit enregistré. A titre d'exemple, la Transtu a un déficit de 204 millions de dinars alors que la masse salariale est de l'ordre de 268 millions de dinars. Pour la Sncft, le déficit a atteint 214 millions de dinars contre 245 millions de dinars pour la masse salariale. Donc, ce sont des sociétés qui n'arrivent même pas à payer les salaires. Outre ce problème, il y a une crise de productivité car les gens ne travaillent pas.
Au sein de ces entreprises, on a beaucoup de personnes et une masse salariale exorbitante, mais ces dernières ne sont pas productives. Mais à mon avis, le sureffectif ne pose pas un vrai problème car si jamais on sait utiliser ces ressources pour donner de meilleurs services, trouver ou servir de nouveaux marchés..., la donne devrait radicalement changer.
Par ailleurs, outre une productivité faible, on constate un problème de compétitivité, de qualité, de tarification... Tunisair et la CTN sont des entreprises qui se trouvent dans des secteurs marchands où il existe des benchmarks internationaux. De l'autre côté, nous sommes dans un des pays où il y a le niveau de salaire le plus bas dans le monde, alors que nous proposons des billets à des prix plus chers que des compagnies qui se trouvent en Allemagne, en Turquie ou en France, ce qui est aberrant. Il y a aussi un problème de tarification qui fait en sorte que ces entreprises n'arrivent pas à avoir des revenus assez conséquents par rapport à leur masse salariale. L'autre mal c'est la mauvaise gouvernance qui fait en sorte que ces entreprises ne sont pas bien gouvernées, ce qui résulte de mauvais choix stratégiques, mauvais contrôle du management... ce qui fait en sorte que ces entreprises ne sont pas performantes.
L'autre dysfonctionnement qui empêche ces entreprises de se développer consiste en la mauvaise gestion. Faute de compétences, l'Etat n'est pas un bon gestionnaire puisque ses fonctionnaires apprennent la gestion de l'administration et non pas le management des entreprises, alors que la différence entre les deux est de taille. Et là on constate un problème de leadership et de management ; dans l'état actuel des choses, on applique aux entreprises publiques le même modèle de management que celui des services et administrations publics. Ces entreprises ne peuvent pas être gérées comme des services publics puisqu'elles sont destinées à faire des profits pour qu'elles soient compétitives sur le marché en proposant de nouveaux produits, en innovant en permanence... Par ailleurs, l'Etat continue de nommer des dirigeants qui sont laissés seuls à affronter les problèmes de leur entreprise et à se battre contre les syndicats, contre les revendications sociales... Il y a même des entreprises publiques où les dirigeants nommés les gèrent à distance puisqu'ils n'ont pas été autorisés par les syndicats parfois à commencer leurs activités et intégrer ces entreprises, ce qui signifie que parfois, ces entreprises sont hors du contrôle de l'Etat.
Finalement, mais pas moins important, je cite le problème de la réglementation. Son poids empêche les entreprises d'être compétitives parce qu'elles sont tout le temps obligées de respecter des lois, ce qui va entraver leur flexibilité, leur agilité et leur capacité à saisir des opportunités sur les marchés. Par exemple, si vous êtes une entreprise publique, vous êtes obligé d'utiliser les services de Tunisair parce que la loi vous oblige à traiter avec des entreprises publiques en premier.
Du coup, si Tunisair n'est pas compétitive, vous allez hériter de ce manque de compétitivité qui va affecter la vôtre. Malheureusement, l'entreprise publique subit toujours cette interdépendance, un problème créé par la législation alors que le manque de compétitivité d'une ou de certaines entreprises affecte la compétitivité de toutes les autres.
Le constat est déjà établi depuis un bon moment : les dirigeants de ces entreprises n'ont pas su ou voulu s'adapter à la réalité de la situation et continuent à les gérer comme autrefois, profitant d'un environnement protégé et non concurrentiel. Qu'en pensez-vous, sinon y a-t-il des exceptions ?
Je suis tout à fait d'accord avec ce constat et il n'y a pas d' exceptions dans ce cadre là. En effet, les entreprises qui travaillent dans un environnement protégé ne sont nullement poussées à adopter les méthodes de bonne gestion, peu portées à l'innovation et à la rentabilité et ne se sentant guère menacées par la concurrence.
Ce capitalisme étatique a été créé dans les années 60-70 et continue à exister de nos jours. Idem pour la mentalité et la manière de gérer ces entreprises. Le meilleur exemple est celui des entreprises saisies ; à l'époque, elles étaient rentables, mais depuis qu'elles sont passées sous la tutelle de l'Etat, elles sont devenues déficitaires et ne valent rien puisque l'Etat (qui est plutôt rigide et résistant au changement) n'est pas un bon gestionnaire et n'a pas la mentalité de l'entrepreneur. Plus loin que ça, avant 2011, il y avait des entreprises publiques qui contribuaient au budget de l'Etat comme par exemple le Groupe chimique, la CPG, la Rnta, l'Etap... C'étaient des entreprises rentables et qui contribuaient de manière assez significative au budget de l'Etat. Mais après 2011, à cause de tous les problèmes cités, ces entreprises — bien que des fois elles se trouvent dans une situation de monopole et dans des secteurs porteurs — sont devenues déficitaires comme le cas de la Rnta qui a le monopole du tabac. La société se trouve dans un marché porteur et élastique en termes de demande, et même si on augmente les prix et les taxes, les gens continueront toujours à acheter du tabac. En 2019, la société était déficitaire de 54,7 millions de dinars mais en 2020, la situation s'est légèrement améliorée et elle est devenue bénéficiaire de 6,9 millions de dinars. Cet exemple confirme encore une fois l'existence d'un problème de gestion, de management, outre le manque de volonté pour mener le changement pour plusieurs raisons.
D'abord, l'Etat n'arrive pas à ouvrir ces chantiers et à prendre le taureau par les cornes. Il faut être sérieux et éviter les promesses irréalisables comme le discours par rapport à l'administration moderne, à l'énergie renouvelable, à l'économie du numérique... Tout cela est resté lettre morte, des promesses enterrées dans les tiroirs des ministères. Par ailleurs, l'Etat nomme des dirigeants qui ne sont pas soutenus politiquement et puis on les accuse d'avoir échoué. Bien qu'il y ait des entreprises publiques qui opèrent dans des secteurs porteurs, ces dernières voient leur rentabilité s'effondrer comme le cas du phosphate, du pétrole, du tabac... mais ces dernières continuent toujours à opérer dans un environnement protégé.
Parmi les indices de non-compétitivité de ces entreprises, l'emploi d'une main-d'œuvre supplémentaire forcée et sans rapport avec les besoins réels de l'entreprise. Quel est le coût de cette pratique ?
Pour le sureffectif, outre le corporatisme sauvage, il y avait aussi un autre problème dû à l'amnistie générale. En effet, après la révolution, beaucoup de personnes ont été recrutées dans la fonction publique (6.839 en 2012 contre 2.929 personnes en 2014, ceci outre les 54 mille personnes qui ont été recrutées dans les sociétés de jardinage en tant qu'ouvriers ou agents). A cet égard, les entreprises publiques ont été plombées par ces recrutements forcés et massifs puisqu'elles sont connues pour leurs salaires élevés et les autres avantages.
A titre d'exemple, la moyenne des salaires chez Tunisair est supérieure à 5.000 dinars, et dans les 20 premières entreprises publiques tunisiennes, elle est de 3.000 dinars. Des fois, nous avons des ouvriers et des agents qui gagnent plus qu'un médecin hospitalo-universitaire ou d'un professeur universitaire pour une productivité quasi-nulle, ce qui est aberrant parce que c'est l'argent du contribuable qui est utilisé pour financer ces salaires et maintenir ces entreprises en équilibre.
Donc, pour ''acheter'' la paix sociale, on a eu recours à l'amnistie générale et au recrutement massif des sous-traitants et aujourd'hui, on paie lourd cette facture de sureffectif qui a créé de plus en plus de déficit. Mais à mon avis, la masse salariale n'est pas un problème en soi, je pense que le vrai problème c'est que cette main-d'œuvre n'est pas compétitive, n'est pas qualifiée, n'est pas productive... On est en train de traîner un boulet qui nous handicape…
Dans quelle mesure les contrôles exercés (s'ils existent réellement) constituent-ils un facteur de performance ou, au contraire, une source de rigidité et de difficultés ?
Dans l'état actuel des choses et la manière avec laquelle le contrôle est fait, on constate un problème de gouvernance parce qu'il y a un problème de participation croisée et de sièges croisés au sein des conseils d'administration des entreprises publiques, ce qui rend le contrôle inefficace puisqu'il y a une collusion entre les dirigeants de ces entreprises et les administrateurs qui sont les représentants de l'Etat. D'une manière générale, le contrôle exercé actuellement est de conformité, c'est-à-dire tout se fait conformément à la loi, aux procédures et au règlement en vigueur. Mais lorsqu'on applique un contrôle de conformité, ceci ne signifie pas que les choses se passent bien, car cet outil a ses limites. C'est pour cela qu'on parle d'un contrôle d'opportunité, qui vise à s'assurer que les actes et décisions sont appropriés en fonction du but poursuivi.
Lors d'une récente conférence de presse, 42 mesures urgentes ont été décidées par le gouvernement pour relancer l'économie nationale. Ces actions seront-elles en mesure de sauver ces entreprises ? Sinon, comment s'en sortir et quelles sont les pistes à explorer ?
Dans le document qui a été envoyé par le gouvernement au FMI, on a proposé la révision du portefeuille des participations de l'Etat, la création d'une agence de participation publique, clarifier la mission de l'entreprise, améliorer leur gouvernance, renforcer leur contrôle et la régulation de leur performance, réviser leur modèle économique et assainir leur situation financière. Sur la forme, ceci peut être intéressant mais reste toujours une simple déclaration d'intention puisqu'il n'y a pas d'actions concrètes, et ce n'est pas encore clair. Lorsqu'on évoque la révision du portefeuille des participations de l'Etat, est-ce que cela signifie que l'Etat veut vendre ou se désengager de certaines entreprises qui ne sont pas intéressantes ? Mais de quelles entreprises s'agit-il ? Pour la création d'une agence de participation publique, si ce n'est pas une agence qui va fonctionner avec la mentalité, la culture et le mode de fonctionnement d'un entrepreneur et d'un manager du secteur privé, ça va être une entrave de plus parce que ceci va accentuer la bureaucratie et multiplier les problèmes administratifs qui vont bloquer encore plus ces entreprises.
En ce qui concerne la clarification de la mission de l'entreprise, il n'y a pas de problème! La mission des Ciments de Bizerte est l'extraction et la commercialisation du ciment, les banques ont la mission de financer l'économie... Donc, il n'y a pas un problème à ce niveau-là car ces entreprises ont des missions claires. Par contre, on constate un problème de gouvernance et pour l'améliorer, l'Etat doit ouvrir son capital à des acteurs externes qui apportent avec eux une nouvelle vision, une nouvelle philosophie, de nouvelles traditions... Ces acteurs vont être plus pointilleux et plus exigeants en matière de rentabilité et de performance parce qu'ils ont investi leur propre argent et donc il y aura plus de pression sur les dirigeants et plus de rationalité en matière de décision.
S'agissant de la révision de leur modèle économique et de l'assainissement de leur situation financière, c'est un point très important. C'est en fait comment peut-on assainir leur santé financière alors qu'on est dans un Etat qui peine à collecter les fonds pour financer le budget de 2022, ceci sans aucune visibilité s'il va obtenir un crédit du FMI ou pas. Ainsi, face à cette situation, la seule solution c'est de privatiser les entreprises qui ne sont pas stratégiques et qui ne relèvent pas de la souveraineté de l'Etat. Par exemple, l'Etat n'a pas besoin de vendre de cigarettes ou d'être banquier... Ces entreprises peuvent être vendues et on peut utiliser l'argent collecté pour redresser, restructurer et assainir la santé financière des entreprises qui se trouvent dans des secteurs stratégiques comme l'énergie. A titre d'exemple, la Stir est stratégique parce que la majorité de notre déficit commercial provient du secteur de l'énergie et parce qu'on importe du pétrole raffiné. Mais il n'y a pas eu de modernisation de ladite société, ni d'investissement dans l'extension de capacités de stockage du pétrole... L'Etat doit comprendre qu'il faut se désengager de certaines activités non stratégiques et utiliser cet argent pour restructurer et redresser les autres entreprises. Mais là aussi, il faut que l'Etat ait le courage nécessaire pour aller affronter les partenaires sociaux et les convaincre de l'efficacité de ces pratiques comme c'était le cas auparavant avec le Magasin Général, la Banque du Sud qui est devenue Attijari Bank... Ces entreprises ont réussi à conserver leurs salariés et elles se sont développées...
Vous dites donc que le redressement de notre économie dépendra de la bonne santé des entreprises ?
Bien évidemment. Ce sont les entreprises qui définissent la santé d'une économie. Dans la majorité des économies développées et même émergentes, il y a de grandes entreprises qui ont servi de locomotive. Malheureusement, dans le classement des meilleures entreprises africaines, peu d'entreprises tunisiennes sont présentes, alors que dans les économies qui sont en transition, émergentes, développées..., il y a toujours des fleurons. Ce sont de grandes entreprises qui emploient un tissu de petites entreprises et des PME... Toutes les économies qui veulent s'en sortir doivent créer des conditions pour faire émerger des locomotives, des fleurons et des fers de lance, ce qui n'est pas le cas pour notre pays alors que les entreprises sont un pilier de développement économique.
La privatisation fait toujours l'objet d'une vive polémique entre le gouvernement et le patronat syndical. Faut-il ouvrir le capital au privé et laisser la majorité détenue par un fonds d'investissement public type BPI en France sans ouverture au privé ? A vendre tout ou en partie ? A concéder façon PPP ? A introduire en bourse ? A fermer pour certaines ?…
Pour les entreprises qui fonctionnent dans des domaines stratégiques comme l'énergie, l'électricité, l'eau..., il n'est pas question de les privatiser car l'Etat doit avoir le contrôle sur ces entreprises. Par contre, à quoi sert la création d'une agence si cette dernière va fonctionner comme une administration publique? Au contraire, ceci va aggraver le problème. On a l'exemple d'Al Karama Holding qui a géré les entreprises saisies. Et là, c'est le même scénario qui va se répéter avec cette agence ; des entreprises qui ont perdu de leur valeur et qui sont devenues des coquilles vides.
Pour la cotation en bourse, ce n'est pas une solution puisque plusieurs entreprises publiques sont, bel et bien, cotées comme Tunisair, Ciments de Bizerte, les banques..., mais l'Etat ouvre une petite partie du capital, ce qui ne change rien. Donc, avec la culture boursière qu'on a actuellement, les choses ne vont pas s'améliorer. Par ailleurs, la fermeture des entreprises est une ligne rouge. Ce sont des institutions économiques qui emploient des gens. On peut trouver des repreneurs puisqu'il y a des personnes et des sociétés qui sont spécialisées dans la reprise des sociétés en difficulté et qui sont capables de les redresser...On peut corriger la situation tant qu'on a le temps. S'agissant de l'exemple de BPI France, je pense que ce n'est pas la même situation ; on ne peut pas comparer la France à la Tunisie. En France, on continue à avoir des entreprises où l'Etat est un actionnaire majoritaire comme Alcatel, Air France...mais ça n'empêche pas ces entreprises d'être très compétitives car l'Etat les gère comme un actionnaire et non pas comme un propriétaire qui impose ses règles du jeu. A mon avis, cette comparaison n'est pas appropriée. Quant au PPP, sur papier, tout est possible, mais la pratique et la mise en application sont une autre paire de manches. Le PPP peut être une solution, même une des grandes solutions parce que le secteur privé présente une grande source de synergie avec l'Etat, mais il faut avoir de la volonté pour passer à l'action.
Donc, dans l'état actuel des choses, le désengagement de l'Etat estdevrait se faire le plus tôt possible...
Absolument ! Il y a une urgence pour ce désengagement et il est plus que jamais temps d'en finir avec l'Etat actionnaire dans certains secteurs.
Car c'est cet effet dominant des entreprises endettées qui entraîne dans leur chute d'autres entreprises..., et tout le système va tomber comme un château de cartes. Mais le problème est que toutes les promesses sont restées lettre morte. L'actuel gouvernement, qui ne communique pas trop, est-il prêt ? A-t-il le courage et la capacité de conduire des réformes ?… Il ne faut pas oublier que l'Etat est le propriétaire de ces entreprises-là et ce ne sont pas les syndicats qui sont juste un partenaire social. Donc, ce bras de fer ne doit pas perdurer.
Par ailleurs, dans la théorie économique, ce sont les actionnaires qui ont le droit de prendre les décisions et puisque l'Etat souffre de faiblesse, il y a une crise de leadership dans toutes les sphères de l'Etat et c'est le statu quo stérile et négatif qui se poursuit... Aujourd'hui, il y a une urgence et il faut entamer des négociations sérieuses avec les syndicats avec une feuille de route très claire et une liste bien déterminée des entreprises qui peuvent être cédées. Tout ce processus doit être accompagné par une négociation sur des règles de bonne conduite pour l'avenir, sinon tout le monde sera perdant. Et là, il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé durant les dernières années car les mêmes recettes produisent les mêmes résultats.


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