• Le but de ce colloque était de favoriser la rencontre des cultures et la genèse de l'universalité d'une conscience solidaire. Que la Chaire Ben Ali et la Toda Institute soient félicitées pour cette grandeur d'âme. Au 3e jour du colloque «La musique pour l'universalité d'une conscience solidaire qui s'est tenue sous l'égide de la Chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions et «Toda Institute for global peace and policy research», à la Cité des sciences, la séance de la matinée, présidée par l'artiste tunisienne Sonia M'barek, a vu défiler des interventions fort instructives, entre autres celle du Français Jean-Louis Darroux. L'orateur a fourni un commentaire à la fois précis et précieux sur la tradition dans la transmission des doctrines spirituelles et des coutumes par la parole ou dans le domaine qui nous intéresse par la musique. Contrairement à l'idée largement répandue, soutient-il «la tradition, ce n'est pas seulement quelque chose qui appartient au passé, une valeur désuète dirai-je, mais plutôt un lieu vivant où s'incarne le champ de la création artistique favorable à une rencontre interculturelle riche des spécificités de chacun. Mais afin que ces dernières cessent d'être un obstacle à la compréhension de leur complémentarité, cette rencontre se doit d'être intensément fusionnelle et devenir par la suite l'organe de transmission de valeurs universelles transculturelles». Jean-Louis Darroux estime que la voix de l'artiste, libérée de l'égocentrisme qui la guette, est une voix d'amour qui s'identifie davantage à la danse du «Sema» des soufis turcs et iraniens ou au chant de l'Europe médiévale des troubadours et des trouvères. A l'issue de sa brillante intervention, il nous a gratifiés d'un «Sangreal», une improvisation modale contemporaine respectueuse des mythes et épopées celtiques et scandinaves. Cette évocation musicale de la quête chevaleresque dans les mythes gallois arthuriens a été chaleureusement applaudie. La fusion des cultures musicales Dr Sofiane Feki, de l'université Paris IV-Sorbonne, s'est longuement interrogé sur les prétextes de ces rencontres. N'est-ce pas là une invitation à mieux se connaître? Que l'harmonie du jazz ou de tout autre genre de musique occidentale soit une source d'inspiration pour les musiciens orientaux ou que l'usage de la rythmique des musiques subsahariennes séduise tout autant les artistes occidentaux, ces faits sont-ils le fruit de coïncidences fortuites? Réfléchir sur ce type d'interrogations nous aide à mieux appréhender le discours sur les universaux dans la musique et sur le nouveau phénomène de fusion entre les styles musicaux. Cela favoriserait le rapprochement des peuples par le truchement des cultures. Ce colloque est une heureuse opportunité pour réfléchir ensemble. Une humanité à la fois unie et diverse Invitée à toutes les conférences où il est question de mondialisation et d'interculturalité, Sonia M'Barek, en pleins travaux de recherches pour la préparation de sa thèse de doctorat sur le statut du musicien à l'heure où l'on parle de choc de civilisations, a parlé du rôle du musicien dans le soutien de l'interculturalité. Elle a présenté sur un ton lyrique une conception solidement élaborée par rapport au paradigme de la mondialisation. A partir de l'idée d'Elie Faure que l'art exprime la vie, elle a donné une lecture de l'art non seulement en tant que création esthétique, mais aussi comme moment d'une civilisation. La musique, soutient-elle, plus que toute autre expression artistique, exprime notre humanité à la fois dans son unité mais aussi dans sa diversité. Toujours selon Sonia M'Barek, le musicien a uniformisé les moyens de production et de diffusion de la musique. D'où risque de standardisation du goût musical des modèles et des genres musicaux puisque 80% de la production mondiale dans l'industrie musicale sont détenus par les puissantes firmes occidentales. Le musicien est infiniment plus interconnecté que par le passé à cause de la prolifération des moyens technologiques mis à sa disposition. Sauf qu'il se trouve devant une alternative. Comment préserver sa musique locale et, en parallèle, évoluer dans le global? De nos jours, l'art musical s'impose plus que jamais en tant que vecteur culturel majeur, exaltant un va-et-vient, un mouvement alternatif entre l'universel et le particulier, le global et le local. Les décideurs et les politiques doivent évoluer en pratique, pas seulement en théorie dans le sens de l'interculturel, et cela à travers la mise en lumière d'une action artistique en faveur de la communication et la promotion de la musique locale (la recherchée et la savante). Pour que le musicien demeure au centre de cette dialectique interculturelle au niveau de la création, de la production, de la diffusion et de la protection de son œuvre musicale, des résidences entre artistes sont de nature à favoriser cet échange, ce dialogue de cette interculturalité tout à l'opposé de la multiculturalité. Les récentes expériences de Sonia M'Barek dans Maqamet ou Federico Garcia Lorca l'attestent. Le sceau de l'universel Dans la même veine, l'intervention de Riadh Fehri, diplômé de musique de Perrugia et de Tunis, spécialiste en musicologie qu'il a pratiquée à l'hôpital psychiatrique Razi, nous a rappelé jusqu'à une certaine limite, celle de Sonia M'Barek, ne serait-ce que sur l'abolition des frontières, le souci majeur de R. Fehri. Une tâche qu'il prend sérieusement à cœur et qu'il met à contribution dans ses compositions musicales, traversées par des influences venues d'ailleurs. Dans ses compositions musicales, précise-t-il, s'entremêlent des identités culturelles d'une nouvelle sonorité, nées du brainstorming des notes musicales tout à fait étrangères aux siennes. «En fait, la musique instrumentale de fusion, celle que j'interprète, est, contrairement au théâtre, au cinéma ou aux comédies musicales, dépourvue d'images concrètes; elle crée des images dans l'imagination des auditeurs, de celles des valeurs que je défends, des valeurs de tolérance, d'acceptation de l'autre et surtout de partage. Un partage marqué du sceau de l'universel». Orchestrer les identités plurielles La veille, dimanche, la Turque Dr Itir Toksِz, docteur en affaires publiques et internationales de l'Université Northeastern de Boston et professeur assistant en relations internationales à l'Université Dogus d'Istanbul, a exploré la façon dont la musique permet aux individus d'exprimer leurs identités multiples. La Turquie Kémaliste et laïque en est le meilleur exemple. Cependant, une question se pose aux Turcs, celle de savoir si leur pays fait partie de l'Orient ou de l'Occident. Dr Itir Toksِz a essayé d'analyser cette présentation de chansons populaires turques de ces dernières années qui expriment leurs identités multiples où l'Occident et l'Orient se rencontrent. Les trois dernières interventions du colloque ont été consacrées au rôle des mouvements de masse dans le développement de l'universalité d'une conscience solidaire par le Dr Olivier Urbain, «les chants liturgiques en Tunisie» par Fethi Zghonda et «sens, naissance et reconnaissance de l'art comme identité plurielle» par le Pr Mohamed Zinelabidine.