L'argumentation de la présidence porte sur la nécessité de réhabiliter des fonctionnaires qui étaient au cœur d'un système et qui, le plus souvent, n'ont fait qu'exécuter les ordres, n'ayant pas le choix de faire autrement C'est le très controversé projet de loi organique n°49/2015 portant sur la réconciliation dans les domaines économique et financier, que la commission permanente de la législation générale a eu à examiner hier au palais du Bardo. A la salle 6, pleine à ras bord jusqu'à l'inconfort, se sont retrouvés pas moins de 33 députés, membres de la commission et invités, en plus d'un grand nombre de journalistes et de représentants de la société civile, pour suivre et couvrir un débat très animé, présidé par le pondéré élu nidaïste, Chaker Ayadi. A grands traits, ceux qui soutiennent l'initiative législative présidentielle sont les parlementaires de Nida Tounès et du parti Ennahdha. En face, Fayçal Tebbini, du bloc Social démocrate, Noômane Elleuch et Samia Abbou, des indépendants, en sont les principaux adversaires. D'emblée, leur point fort se situe non pas dans le nombre, très réduit, mais au niveau de la virulence de leurs propos. Revoir la composition de la commission Pour sa part, la présidence de la République est représentée en force par une importante délégation présidée par Slim Azzabi. Il a pris la parole en premier pour défendre le droit à valeur constitutionnelle du président de la République de proposer des projets de loi. Le chef de cabinet de la présidence a, par ailleurs, laissé entendre l'extrême disposition des initiateurs du texte de loi pour apporter, à la lumière des propositions et critiques faites, les amendements nécessaires. Les parlementaires, mais également la société civile très mobilisée, sont divisés entre deux positions distinctes. Le rejet catégorique du projet en appelant tout bonnement à son retrait. Et, ceux plus conciliants, favorables à la révision de certaines dispositions particulièrement litigieuses. L'article 3 du texte qui en contient 12, a été plusieurs fois invoqué. Celui-ci porte sur la composition de la commission chargée d'examiner les requêtes. La refonte de ce mécanisme éminemment stratégique a fait l'objet de revendications insistantes. Dédoublement fonctionnel En plus de s'attaquer à la constitutionnalité même de ce texte de loi « très impopulaire », ses détracteurs se sont appuyés sur des considérations éthiques, pour l'assimiler à un montage fait sur mesure pour le « blanchiment des corrompus et des voleurs de l'argent des Tunisiens ». Fayçal Tebbini l'a jugé « immoral et contraire à l'éthique », Noômane El Eeuch, n'a pas fait dans la dentelle, pour remercier l'exécutif pour sa « bêtise politique qui nous laisse le champ libre à chaque fois pour l'instrumentaliser à notre avantage ». Quant à Samia Abbou, elle s'est placée sur le registre de la légitimité, pour faire valoir l'inaptitude du président à proposer un projet de loi de cette nature ; « si légalement il a le droit, politiquement il n'en a pas, puisque le président de la République, que Dieu le bénisse, est accusé avec son frère, de détournement de fonds publics, il est partie prenante et il y a donc conflit d'intérêt». La députée a également mis en avant les accusations de malversations qui planeraient sur « des conseillers de la présidence directement impliqués dans de nouvelles affaires de détournements de l'argent public». Le point nodal des critiques porte également sur l'inévitable dédoublement fonctionnel qu'instaurerait ce mécanisme en charge de la réconciliation économique, avec l'Instance de la vérité et dignité, chargée de facto, d'instruire les dossiers de réconciliation y compris économiques. Histoires de gros sous L'argumentation de la présidence porte sur la nécessité de réhabiliter des fonctionnaires qui étaient au cœur d'un système, et qui, le plus souvent n'ont fait qu'exécuter les ordres, n'ayant pas le choix de faire autrement. Il faut « affranchir, défend Slim Azzabi, l'administration de sa paralysie actuelle et endémique ». Il a mis en avant l'extrême urgence d'activer le processus d'arbitrage entres les hommes d'affaires et l'Etat aux fins de récupérer l'argent dû et alimenter utilement les fonds publics qui en ont grandement besoin. Bon à savoir, toutefois, qu'au même moment où la commission tenait ses assises, des pétitions circulaient sur le web pour appeler à combattre le projet avec force « pour éviter que les voleurs et les corrompus reviennent aux affaires ». Quoi qu'il en soit, et comme l'a si bien fait remarquer le jeune élu du bloc El Horra, Marouan Felfel, il y a « une atmosphère délétère dans la Tunisie et des histoires de gros sous qui circulent » dont il faudra tenir compte, fait-il valoir conciliant, dans une intervention mesurée et pragmatique, et « que cette loi viendrait à conforter ». Au final, faire passer ce projet de loi, en se basant uniquement sur le fait majoritaire, sans effort didactique et sans tenir compte des arguments de l'opposition, risquerait de jeter le discrédit sur les instances de l'Etat, en soufflant inutilement sur les braises.