Après la modération et la modestie affichées dans les deux gouvernements Habib Essid, où il s'est contenté d'un seul portefeuille ministériel, Ennahdha se rebiffe et réclame une représentation proportionnelle à son poids parlementaire. Décidément, le repli tactique a porté ses fruits En attendant le verdict auquel elle sera soumise vendredi prochain, l'équipe gouvernementalede Youssef Chahed continue de susciter des interrogations. C'est vrai qu'elle nous fournit une belle photo de famille et qu'elle nous donne l'impression d'avoir une belle allure avec des jeunes, pleins d'entrain et d'ambition, des adultes véhiculant l'expérience et la sagesse et des femmes symbolisant l'émancipation. Néanmoins, quand on sait que les bonnes intentions et les bonnes actions ne sont tributaires ni d'un âge déterminé, ni d'un sexe particulier, vu qu'un jeune peut très bien être inféodé à des idées rétrogrades, et qu'il est de même pour les femmes dont on a vu un échantillon, lors de l'ANC, où plusieurs députées votaient contre des lois émancipatrices, on ne peut pas être tout à fait rassurés. Donc, l'habit est loin de faire le moine. Une lecture de certaines attitudes et de certains statuts des protagonistes de cette coalition est de nature à nous édifier à ce propos. Attaquer pour mieux défendre En premier lieu, on a du mal à comprendre les revirements de certains d'entre eux, tels qu'Al-Jomhouri, Al-Massar et le Mouvement du peuple. Et pourtant, Chahed n'a pas changé d'un iota au niveau des orientations fondamentales, depuis qu'ils ont décidé de quitter Dar Dhiafa, à ce qu'on sache. Ils ont déclaré, après leur départ, qu'ils s'attendaient à voir un chef de gouvernement qui soit impartial politiquement et qui sache se tenir à égale distance vis-à-vis de tous les partis politiques, tout en insistant sur le fait qu'ils sont déçus de la manière dont se sont déroulées les consultations. Et après s'être, officiellement, retirés et s'être déplacés à Dar Dhiafa pour dire à Chahed qu'il n'était pas l'homme de l'étape, et qu'ils n'étaient plus concernés par la participation à son gouvernement, les voilà faire partie intégrante de la nouvelle équipe gouvernementale. Leur volte-face est d'autant plus incompréhensible qu'ils ont invoqué des raisons d'ordre constitutionnel et éthique, étant donné que le chef de gouvernement désigné est issu d'un gouvernement discrédité en raison de l'échec qu'il a essuyé sur tous les plans, un échec qu'il assume au même titre que tous les autres membres au nom du principe constitutionnel de la responsabilité solidaire. Après avoir impressionné l'opinion par leur position de principe, ils cèdent à l'offre, oubliant très vite cet engagement intransigeant de leur part et enterrant les principes et valeurs qu'ils défendaient il y a très peu de temps. Tout s'avère simulation, une tactique visant à mieux se positionner par rapport aux autres candidats et à s'assurer une place au soleil. Cependant, cette vérité avérée est contestée par le secrétaire général du Mouvement du peuple, Zouhaier Maghzaoui, qui prétend que le nassérien notoire, Mabrouk Khorchid, nommé secrétaire d'Etat, n'est pas des leurs. Certains voient dans cette attitude une simple tactique et l'assimilent à celle empruntée par les militants de ce parti à l'égard de Salem Labiadh, l'ex-ministre «démissionnaire en exercice» de l'Education dans le gouvernement Laârayedh, ou bien encore de Khaled Krichi, l'ex-porte-parole du Mp et l'actuel membre de l'Ivd. La belle affaire d'Ennahdha Quant à Ennahdha, son boycottage des consultations de Dar Dhiafa, qu'il a quitté dépité, à cause de l'offre insatisfaisante de Chahed, consistant dans trois portefeuilles ministériels et deux secrétariats d'Etat, a manifestement donné ses fruits, puisqu'il obtient un troisième secrétariat d'Etat. En réalité et contrairement aux apparences, Ennahdha déniche beaucoup plus de portefeuilles qu'il le prétend. Déjà à travers le ministère de l'I+ndustrie et du Commerce, accordé à Zied Laâdhari, il en assure deux en un, ce qui ramène les portefeuilles ministériels obtenus par le parti islamique à quatre. En plus des bénéfices de ce regroupement de ministères, il en dispose, très vraisemblablement, d'autres qui sont occultés aujourd'hui, mais qui seront, certainement, trahis dans les prochains jours, comme d'habitude. De pseudo-indépendants seront identifiés comme étant d'obédience islamique. Cela sans parler du ministre des affaires religieuses, un poste auquel Ennahdha n'est plus prêt à renoncer, surtout après le mauvais souvenir laissé par Othman Battikh qui a failli compromettre ses projets non déclarés, en osant toucher à ses hommes de main à qui est confiée la charge d'exécution et dont l'incarnation majeure est l'imam de la mosquée Sidi Lakhmi. Donc, le choix d'Abdeljeli Ben Salem ne peut pas dépasser ces considérations essentielles, voire déterminantes pour Ennahdha. Une thèse qui s'avère très plausible, lorsqu'on sait que ce dernier a occupé le poste de président de l'Université de la Zitouna de 2011 à 2014, une époque, totalement, dominée par les islamistes, notamment dans ce secteur. D'autre part, le choix de certains ministères ne peut pas nous laisser indifférents, car il est porteur de sens, d'autant plus qu'ils en obtiennent les portefeuilles ministériels et les secrétariats d'Etat. On veut parler, ici, du ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle et du ministère des Technologies de la communication et de l'Economie numérique, deux secteurs éminemment stratégiques. Certains y soupçonnent une intention de la part d'Ennahdha de contrôler l'emploi, les sites internet et les statistiques. Il en découle que c'est Ennahdha qui en sort le grand gagnant. Après la modération et la modestie affichées dans les deux gouvernements Habib Essid, où il s'est contenté d'un seul portefeuille ministériel, il se rebiffe et réclame une représentation proportionnelle à son poids parlementaire. Décidément, le repli tactique a donné ses fruits. Les choses sérieuses commencent maintenant. Ennahdha annonce la couleur, il veut mettre mieux à profit sa première position parlementaire. Compétences ou manigances ? Cette intention délibérée de sa part, qui est mise à nu par son choix obstiné et très minutieux des ministères, apparaît, également, à travers son refus absurde du portefeuille, initialement proposé à Lâdhari, à savoir celui se rapportant à la lutte contre la corruption, sous prétexte qu'il ne correspond pas à son profil, et son attachement à celui se rapportant à l'industrie et au commerce. Que pourraient être les compétences dans ces domaines de quelqu'un qui est de formation juridique? A-t-il les moyens nécessaires pour savoir les gérer comme il se doit? Ce qui est encore plus grave à ce niveau, c'est qu'accorder ce ministère à Ennahdha c'est lui confier l'économie nationale qu'elle a complètement ruinée lorsqu'elle était aux commandes dans le cadre de la Troïka. Toujours volet compétences, on se demande que pourrait apporter le juriste, Samir Taïeb au secteur agricole, un secteur agonisant qui requiert beaucoup de savoir et de savoir-faire pour être sauvé. Et il est de même, à titre d'exemple, pour l'anesthésiste, Riadh Mouakher, désigné à la tête du ministère des Affaires locales et de l'Environnement, l'architecte Majdouline Cherni, et de tant d'autres qui seront identifiés très prochainement. Suffit-il d'être jeune, belle et la sœur d'un martyr pour diriger un ministère de l'envergure de celui de la Jeunesse et des Sports ? Par cette compilation de personnalités disparates, Chahed aura-t-il réussi son pari à constituer son gouvernement d'unité nationale ? Certains soutiennent que oui, d'autant plus qu'il y a même intégré des figures de la gauche, telles Abid Briki, l'ex-secrétaire général adjoint de l'Ugtt et l'un des fondateurs du Parti unifié des patriotes démocrates. Cependant, cette intégration est vue différemment par une bonne partie de l'opposition qui est scandalisée par ce comportement qu'elle juge indigne d'un compagnon de route de ChokriBelaid dont le dossier est étouffé par ceux-là mêmeS auxquels il s'aligne aujourd'hui. Mais si la nomination d'Abid Briki est controversée et sujette à polémique, peut-on dire autant concernant celle de l'ex-dirigeant de la centrale syndicale et l'actuel nidaïste par lien de parenté, Mohamed Trabelsi, le beau-père d'Ons Hattab, au ministère des affaires sociales? Il va sans dire que son choix est loin d'être fortuit. C'est de toute évidence sa qualité d'ex-syndicaliste qui a présidé à cette désignation. Ce choix serait dicté par la situation sociale extrêmement délicate. Serait-il alors approuvé par l'Ugtt? Représente-t-il avec Briki le quota de celle-ci dans le nouveau gouvernement ? Ou bien l'intégration de ce dernier constitue-t-elle une manœuvre de la part de la direction syndicale pour écarter deux concurrents indésirables du prochain congrès de janvier 2017 ?