Malgré les déclarations et les contre-déclarations qui fusaient de toutes parts, la vérité sur la torture dans nos prisons demeure, encore, entourée de mystères et de secrets. Aux aguets, une bonne partie de la société civile n'a pas fini de la pointer du doigt, affûtant ses armes pour venir à bout de toute une réalité carcérale floue et si complexe, plus souvent considérée comme un terreau de tous les abus et les pratiques répressives. Certains vont jusqu'à qualifier un tel milieu privatif des libertés de véritable machine à produire des criminels et des repris de justice. D'autres questions, et non des moindres, que l'on se pose, aujourd'hui, sur l'état des droits et des institutions en rapport avec la mise en vigueur de la Constitution de la IIe République, promulguée en 2014. Malgré une réforme judiciaire encore en chantier, un code pénal tout récemment revisité et un Conseil supérieur de la magistrature démocratiquement élu, une instance nationale de prévention de la torture, déjà en place, les lois et les conventions antitorture ne suffisent pas à elles seules. D'où le « renforcement du cadre législatif pour lutter contre la torture » paraît plus que nécessaire, et qui a fait l'objet d'une table ronde, organisée hier à Tunis par le ministère de la Relation avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme, en collaboration avec « Redress » et « Dignity », deux grandes ONG internationales œuvrant en la matière. Oui, il y a des lacunes.. ! M. Mehdi Ben Gharbia s'est, brièvement, prononcé sur l'objet de l'événement, soulignant que la lutte contre la torture fait, aujourd'hui, partie de la politique du gouvernement. Sans pour autant négliger sa volonté d'aller de l'avant vers la mise en place d'autres mécanismes législatifs et réglementaires qui soient de nature à pouvoir incriminer tout traitement inhumain et dégradant commis à l'encontre des victimes. Car, lance-t-il, personne n'est au-dessus de la loi. En termes de législations, il y aura, encore, beaucoup à faire. Bien que le 3e rapport périodique de la Tunisie ait eu un écho favorable auprès des instances spécialisées des Nations unies, les remarques ont essentiellement porté sur davantage de garanties. D'autant plus, témoigne-t-il, que les séances d'audition publique des victimes du passé, ayant démarré hier à l'initiative de l'IVD, sont la meilleure illustration de la lutte contre les graves violations des droits de l'Homme dont notamment les crimes de torture. Et de relever, au passage, que mêmes les bourreaux exécuteurs étaient, eux aussi, à l'époque, des victimes du despotisme et de l'oppression. Au-delà du dévoilement de la réalité des faits, l'objectif de la justice transitionnelle se résume bel et bien dans la réconciliation nationale. N'empêche, il y aura, de même, des comptes à rendre et des dommages à réparer, dans la perspective d'éviter que de tels crimes ne se reproduisent plus. L'Institut danois contre la torture (Dignity) n'a pas tari d'éloges pour tous ces acquis post-révolution réalisés dans le cadre d'un processus bien établi tant judiciaire que transitionnel. Son représentant à Tunis n'a pas manqué de mettre en avant son soutien constant à l'œuvre de réforme judiciaire, entamée depuis 2012. Cela consiste à former plus de 170 juges et fournir l'assistance clinique aux victimes de la torture. Ainsi s'illustre le partenariat gouvernement-société civile, à bien des égards. De son côté, Mme Judy Oder, de « REDRESS » a insisté sur le fait de renforcer une telle coopération pour parvenir à changer bien des choses qui permettent de prévenir la torture et réhabiliter les victimes. Pour elle, cette table ronde devrait être un fer de lance, dans la mesure où l'on doit se conformer davantage aux normes internationales. Le problème est financier Toutefois, la naissance, au forceps, de l'Instance nationale de prévention de la torture (Inpt), élue en mars dernier, et dont la loi fut promulguée trois ans plus tôt, pose encore problème. Quel rôle à jouer ? Et comment arriver à relever un défi aussi délicat que la torture ? De prime abord, cette mission se révèle à sa portée, étant donné que la loi lui permet d'effectuer des visites périodiques et inopinées, sans préavis aucun, à tous les lieux et centres de détention, à même d'avoir le pouvoir de signaler d'éventuels cas de maltraitance et d'établir, à chaque fois, des rapports d'observation. Or, cela ne semble pas évident. Car, du moment que son budget pour l'exercice 2017 s'est réduit à un milliard de millimes seulement, au lieu de 17 millions de dinars, déjà sollicités, son autonomie financière s'avère encore en jeu. Et sa présidente Mme Hamida Dridi en est bien consciente. Interrogée, Mme Afef Chaâbane, membre de l' Inpt a tenu à le confirmer. Sauf que sur le plan législatif, elle considère que l'instance se dote du minimum requis en termes de conformité avec les standards internationaux en vigueur. C'est que la Tunisie avait déjà adopté, depuis 1988, la convention onusienne contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le protocole y afférent en 2011. « D'autant que ce dernier stipule que des instances telles que la nôtre soient mises en place à cet effet.. », a-t-elle fait savoir. Et de conclure, « en tout cas, le cadre législatif commence à se consolider de plus en plus. Mais le problème, pour nous, reste purement financier.. ».