Les syndicalistes soufflent le chaud et le froid. Ils rejettent la décision de Youssef Chahed de reporter le versement des augmentations salariales convenues pour 2017. En parallèle, ils laissent entendre qu'ils sont toujours pour la poursuite du dialogue Youssef Chahed, chef du gouvernement d'union nationale, est-il en train de prêcher dans le désert face à un paysage politique et civil dont la majorité des composantes se bouchent doublement les oreilles face à ses arguments, même si dans les cercles privés on reconnaît volontiers que le gouvernement n'a pas d'autre solution que de faire adopter «les mesures douloureuses» tant annoncées et toujours ajournées à cause des pressions de tous bords, des tergiversations et de l'attentisme qui bloquent jusqu'ici le redémarrage de la machine économique nationale, y compris pour les projets dont les crédits sont disponibles mais qui ne démarrent pas. La lenteur administrative et l'absence de volonté, plus particulièrement au niveau des régions de l'intérieur, en sont les principales raisons. Vendredi 18 novembre, Youssef Chahed a tenu devant les députés, en leur présentant la déclaration de son gouvernement à propos du budget de l'Etat pour 2017, le langage de la vérité, de la franchise et aussi de l'audace, celle précisément de révéler au peuple, à travers ses représentants, les chiffres qui font mal. Et ce sont bien ces chiffres dont ont besoin les Tunisiens pour savoir si les caisses de l'Etat sont réellement vides, si les pensions de retraite sont effectivement menacées, si les augmentations salariales auxquelles l'Ugtt s'attache bec et ongles peuvent être servies sans que le FMI et la Banque mondiale ne coupent les vivres au gouvernement et l'obligent à aller chercher les crédits qu'il faut sur les marchés financiers libres avec des intérêts plus élevés et si ces partis et ces organisations professionnelles qui ont signé le pacte de Carthage vont, enfin, faire preuve d'une compréhension de son contenu analogue à celle qu'épouse jusqu'ici le gouvernement. Le discours développé par le chef du gouvernement trahit le sentiment de solitude qu'éprouve un homme qui a eu le courage d'accepter de livrer une bataille multidimensionnelle contre la corruption, la contrebande, le terrorisme, le corporatisme excessif, l'attentisme démesuré des investisseurs nationaux et étrangers et enfin ce nouveau syndicalisme qui recourt maintenant à la rue pour imposer ses caprices qui portent atteinte aux intérêts des travailleurs dont l'Ugtt, notamment certains de ses dirigeants en campagne électorale avant l'heure qu'ils prétendent défendre. On retourne à la rue Hier, l'Ugtt a, de nouveau, réaffirmé qu'elle refuse catégoriquement la décision du gouvernement relative au report du versement des augmentations salariales pour le compte de 2017. Le communiqué publié à l'issue de la réunion du bureau exécutif de la centrale ouvrière est d'une virulence qui, le moins qu'on puisse dire, ne rassure pas quant à ce que les syndicalistes vont entreprendre. «Cette décision est un coup porté au dialogue social et à la crédibilité des partenaires sociaux ainsi qu'un désengagement à l'égard du document de Carthage», lit-on dans le communiqué du B.E. de l'Ugtt. Les observateurs qui s'attendaient à ce que les syndicalistes finissent par revenir à la raison peuvent déchanter. L'Ugtt n'est pas pour le moment prête ou capable de contenir la colère de ses bases, notamment celles relevant du groupement de la fonction publique qui ont déjà appelé à une grève générale pour le 8 décembre prochain. Certains parmi les membres du bureau exécutif ont fait savoir que «les syndicalistes peuvent aller au-delà de la grève générale dans les administrations publiques à travers le pays pour organiser des sit-in de protestation devant le siège de la présidence du gouvernement et du parlement». Ce qui revient à dire que c'est dans la rue que va se transposer le différend opposant le gouvernement à l'Ugtt à propos des augmentations salariales bien que Youssef Chahed ne parle plus de gel mais bien de report, au mois d'octobre 2017, de ces mêmes majorations. Et il semble qu'au sein de l'Ugtt, on est toujours confiant que le dialogue avec le gouvernement est toujours possible et pourrait aboutir à une solution consensuelle. Ainsi, Hassine Abassi, secrétaire général de l'Ugtt, cherche-t-il à apaiser les tensions en déclarant, vendredi dernier, que «c'est à la commission administrative nationale qui se tiendra au cours de la semaine prochaine que reviendra le dernier mot pour décider de la grève générale ou de poursuivre le dialogue». Sauf que ce discours d'apaisement est toujours accompagné d'un autre discours plus incisif, notamment auprès des enseignants du primaire et du secondaire. Mastouri Gamoudi (primaire) et Lassaâd Yaâcoubi (secondaire) sont paraît-il déterminés à obtenir le départ de Néji Jalloul. Ils ne lui pardonnent pas, bien qu'il ait présenté ses excuses, sa malheureuse déclaration où il disait : «Pour un simple retard de versement des primes, ils organisent des sit-in. Si leurs salaires sont suspendus, ils porteront les armes». Vendredi 18 novembre, on a enregistré à Sousse une première. Maintenant les syndicalistes du primaire et du secondaire font participer les élèves à leurs conférences et, en prime, en présence de syndicalistes étrangers, précisément ceux du Danemark. On a débattu de problématiques d'un type nouveau auquel les syndicalistes ne sont pas habitués : le genre dans l'école publique. Lassaâd Yaâcoubi se félicite, dans une déclaration à l'agence TAP, de voir des élèves «parler de discrimination en milieu scolaire, de difficultés d'apprentissage et de harcèlement sexuel». Et dire que les syndicalistes ont toujours milité pour que l'école soit mise à l'écart de la politique et de ses dangers.