Demain, mardi 6 décembre, il présentera à la Maison de la culture Ibn-Rachiq sa nouvelle et 19e création théâtrale «Les Rapaces» avec une douzaine de comédiens sur scène. Ibn-Rachiq est pour lui un retour au bercail. Une scène qu'il connaît par cœur comme metteur en scène mais aussi comme directeur, autrefois, de cet espace. Hamadi Mezzi est fidèle à son métier. Il n'a jamais été tenté de faire autre chose que le théâtre. Pourtant, il aurait pu s'essayer au cinéma qu'il aime beaucoup ou à la télévision qu'il apprécie moins. La scène lui doit tout et lui, il doit tout à la scène. Il révèle tout ou presque de son expérience de metteur en scène et de sa dernière création «Les Rapaces». Entretien. «Les Rapaces» est la 19e pièce produite dans le cadre de votre société Dar Sindbad. Pourquoi avez-vous choisi de produire vous-même vos pièces ? J'ai exercé en tant qu'animateur théâtral au sein des troupes scolaires et dans les maisons de la culture. J'ai fait une expérience avec le théâtre régional avec feu Abdellatif Hamrouni et Moncef Souissi du temps où j'étais étudiant au CAD (Centre d'art dramatique). On choisissait les meilleurs éléments pour mettre en scène les spectacles d'ouverture des festivals de Hammamet ou de Carthage. J'ai eu le plaisir de participer avec Moncef Souissi à quatre pièces. J'étais également un des éléments ayant participé à la création du Théâtre National Tunisien en 1982 et des Journées Théâtrales de Carthage en 1984 auxquelles j'ai participé pendant les trois premières sessions. Ce qui m'a poussé à monter une structure privée, c'est que je n'ai pas trouvé l'espace adéquat à mes ambitions et à mes rêves de metteur en scène. En 1988, j'ai fondé Dar Sindbad. La première création était «Don Quichotte». Je me suis intéressé surtout à la scénographie qui est un élément délaissé dans le théâtre tunisien de l'époque. J'ai utilisé une machinerie lourde qui a exigé beaucoup de travail. J'ai aussi élaboré mes propres textes. Pour moi, c'est un challenge auquel les producteurs n'adhèrent pas forcément. C'est une question de vision. En réalité, j'ai voulu faire évoluer le discours théâtral pour réaliser un rêve à partir d'une longue expérience qui a commencé avec le théâtre scolaire. J'ai laissé trace partout où je suis passé. J'ai écrit les textes de la majorité de mes pièces. J'ai mis trois ans pour écrire le texte en arabe littéraire des «Rapaces». On remarque que le théâtre tunisien est une question de famille. Est-ce plus efficace pour la création d'une pièce ? Un retour dans l'histoire du théâtre dans le monde nous permet de découvrir que la plupart des troupes sont constituées de membres d'une seule famille, à l'instar de la Commedia dell'arte ou Molière. C'est comme au cirque, c'est pourquoi il dure encore. La relève est importante, même si elle n'existe pas dans notre culture. La famille réussit lorsqu'elle choisit un membre professionnel et non par souci d'appartenance familiale. Les meilleurs moments dans l'histoire du théâtre mondial sont ceux des troupes familiales. Les expériences tunisiennes sont honteuses et font rire. Les troupes familiales sont antithéâtrales. Mais il existe des exceptions : Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar est une belle famille. C'est l'exemple le plus marquant. De même, Raja Ben Ammar et Moncef Sayem, même si ce dernier, qui est un grand comédien, est presque absent de la scène. Lorsque Hassen Zmerli l'a vu jouer, il a dit de lui que c'est le futur Louis Jouvet tunisien. Il y a Noureddine Atti et Sonia Zarg Ayoun, Ezzeddine Ganoun et sa fille Cyrine. Il ne faut pas prendre la famille du côté péjoratif mais plutôt du côté productif et artistique. «Les Rapaces» a l'air de se passer dans un temps révolu. Vous avez vous-même écrit le texte, mis en scène la pièce et confectionné les costumes. Pourquoi cette démarche ? Depuis trois ans, je me suis mis à tisser le texte en arabe littéraire. La pièce traite de notre réalité ici et maintenant à ma façon. La langue que j'ai choisie est poétique et sereine pour parler de la Tunisie non pas à travers un discours direct. C'est une approche et une écriture nouvelles. Après avoir digéré toutes les approches, j'ai essayé de créer la mienne. C'est tout ce que je peux dire. Au sujet des costumes, je voulais créer ma propre touche. D'ailleurs, les 12 comédiens de la pièce, formés académiquement, sont d'accord avec moi. La scène a ses règles auxquelles je crois profondément. Le texte reste un canevas sur lequel il y a lieu de broder. C'est un repère. A l'instar de Peter Brook, j'ai réalisé les propres costumes de la pièce non pas par manque de confiance dans les costumiers mais parce que, j'ai une vision qui me taraude par rapport au personnage que j'ai rêvé aussi bien au niveau du texte mais aussi des costumes. C'est une question organique. Peut-on comparer le personnage principal Khadhra à une amazone ? Je ne sais pas. Khadhra est une femme authentique. Il n'y en n'a pas une autre comme elle. Il y a une sorte de chauvinisme. Elle renvoie à la Tunisie. Est-il important d'avoir une forte complicité avec les comédiens ? J'aime le comédien bagarreur et non le suiviste. Le théâtre est basé sur les dialogues. Il y a des personnages antagonistes qui sont d'un apport certain pour une pièce. Personnellement, je ne détiens pas la vérité, c'est pourquoi je compte beaucoup sur la sensibilité du comédien et son apport conformément au contexte que nous avons défini ensemble. J'adore mes comédiens et je suis très discipliné à leur égard d'autant plus que ce sont de jeunes diplômés de l'Isad. Je suis parvenu à créer un climat magnifique dont je suis vraiment très fier. La complicité, l'amitié et l'amabilité vont se dégager sur scène. J'inculque à ces jeunes un savoir-faire qui va les aider dans leur carrière. Une fois la pièce montée, quel est le rôle du metteur en scène ? Un simple spectateur avec un regard critique. Je suis muni d'un calepin dans lequel j'inscris mes notes critiques sur le spectacle. Après la représentation, j'effectue une évaluation et cela a été toujours ainsi. Avant la première, je fais une vingtaine de filage et à chaque fois, j'effectue une mise au point. Les comédiens ont un potentiel d'assimilation extraordinaire. L'essentiel est que l'équipe soit homogène et contente du rendu et moi aussi. Et le plus important est que le public adhère à notre travail. Quelle est votre vision future des Journées théâtrales de Carthage ? Ma vision est objective. J'étais parmi l'équipe qui a organisé les trois premières sessions des JTC. Nous avons pensé que le Théâtre national tunisien, qui a été créé deux ans plutôt, n'est pas uniquement une cellule de production, c'est aussi une cellule d'animation. C'est ainsi qu'est venue l'idée de création des JTC. Nous disposons d'un repère : les Journées cinématographiques de Carthage. L'élément fondamental des JCC est de faire connaître au public la cinématographie arabe et africaine. Le discours révolutionnaire était de mise à cette époque-là où les pays africains étaient fraîchement indépendants. La première session constituait un moment très fort. L'équipe tenait à faire réussir cette première session, c'était un choix stratégique. La question des prix est importante. Depuis les Grecs, les concours et les prix existent. Les prix stimulent la création. Ils sont motivants pour les artistes. Les annuler est une grosse erreur. Concernant le volet des hommages, c'est un travail sur la mémoire et la reconnaissance à l'égard de l'artiste invité. Il faut organiser pour ces artistes des points de presse, des débats avec le public. Tout cela a été malheureusement négligé, ainsi que les colloques. Personnellement, je ne peux faire évoluer mon travail sans réflexion et critique. J'ai besoin du regard de l'autre. Arrêtons le narcissisme et l'égocentrisme. C'est le produit qui, enfin de compte, définit un festival. J'ai constaté lors de la dernière édition des JTC qu'à part les créations théâtrales tunisiennes, la sélection des pièces étrangères est au-dessous de la moyenne. Il y a une démission de tout le monde. Pourtant les JTC, c'est notre patrimoine, notre mémoire à tous.