Des articles sur l'ancrage de l'identité arabo-musulmane, sur l'enseignement des langues portent la mention: «Le silence de l'administration, au bout de deux mois, vaut acceptation ». Demain, si un jardin d'enfants décidait d'enseigner à des enfants en bas âge la langue turque, ou autres, et si l'administration ne répondait pas, pour n'avoir pas encore tranché, ou à cause des lourdeurs procédurales, son silence serait assimilé à un accord. Après un long travail de gestation qui a duré près d'un an, le polémique projet de loi 59/2016 relatif à l'organisation des crèches et des jardins d'enfants refait surface en plénière, à travers un rendez-vous insolite, lundi après-midi. Habituellement, les séances publiques sont programmées à l'hémicycle à partir de mardi matin. A l'issu d'un débat parlementaire qui a abouti à une impasse, la séance est levée vers 20h00, et le texte de loi est envoyé en commission du consensus. Le pouvoir exécutif a jugé la promulgation d'une loi nécessaire, en vue de réguler les établissements chargés de la petite enfance, en proie à un chaos généralisé depuis la révolution. Et ce, en lieu et place du pouvoir réglementaire dont il dispose, à travers les actes exécutoires, arrêtés et décrets fixant par un cahier des charges l'ouverture et la gestion desdites structures. D'où l'initiative gouvernementale déposée à l'ARP le 27 juillet 2016 par le ministère des Affaires de la femme et de la famille. Les députés de toutes obédiences politiques ont demandé à s'exprimer pour mettre à l'honneur l'intérêt de l'enfant, l'éducation de nos enfants, des générations futures, relevant de la responsabilité directe de l'Etat. D'autres évidences enrobées dans de la rhétorique ont été théâtralement déclamées tout au long de cette plénière post-méridienne. Des propositions concrètes sont émises tout de même, comme de procéder au maillage territorial des jardins d'enfants, respectant une répartition plus équitable. Les régions isolées et rurales étant privées de structures d'encadrement, qu'elles soient publiques ou privées. Fatma Messadi de Nida Tounès et Amar Amroussi du Front populaire ont alerté sur le danger qui guette ce domaine d'activité hautement sensible. L'élue nidaiste a proposé de réviser les critères de recrutement des puériculteurs et animateurs (trices). Le député de l'opposition, a, lui, rappelé que la radicalisation des jardins d'enfants dits coraniques a commencé sous la Troïka, et que la tendance à «daéchiser», à «afghaniser» ces établissements est toujours menaçante. Conflit de compétence ? La séance levée vers 20h00, sans parvenir au moindre accord sur la dernière mouture du projet de loi, sans que la ministre Naziha Laâbidi présente son exposé ni que l'examen article par article soit entamé. Comme tout texte qui bute en plénière, il est renvoyé, sans surprise, à la commission du consensus. La surprise nous a été en revanche réservée par le débat purement formel qui s'est déroulé dans le cadre de cette commission, qui a tenu ses assises en salle Une, hier matin, au palais du Bardo. Ennahdha faisant valoir le risque de voir ce projet de loi frappé d'inconstitutionnalité, une fois promulgué, recommande de revenir aux anciennes dispositions, c'est-à-dire au pouvoir réglementaire, à travers le cahier des charges, en brandissant l'argument « conflit de compétence» entre le pouvoir réglementaire relevant de l'exécutif et le pouvoir législatif. Un revirement hautement contesté par les blocs du Front populaire, d'Afek Tounès et du Bloc El Horra. Nida Tounès a approuvé la nouvelle démarche de son allié de la coalition, la jugeant cohérente. Le ministère de la Femme représentée par deux juristes, Samia Doula et Mohamed Ali Khaldi tout en retenu, ont présenté le degré d'importance du projet de loi, lequel devra relever du pouvoir législatif et non pas réglementaire. L'auteur de la loi, la présidence du gouvernement, a jugé catastrophique la présente situation de la petite enfance, livrée à l'anarchie, et ne pouvant plus être administrée par actes exécutoires. Des modalités insuffisantes ne pouvant fournir le cadre réglementaire pour garantir la protection des droits de l'enfant et son intérêt supérieur. L'article 47 de la constitution stipule que l'Etat doit fournir la protection légale et judiciaire de l'enfant. C'est donc une obligation constitutionnelle. Sans parler du fait que ce projet comporte des peines privatives de libertés, lesquelles ne pouvant être inscrites que dans le cadre d'une loi et non pas d'actes réglementaires. Se voiler dans le formalisme juridique Heger Ben Sheikh Ahmed révèle à La Presse le cycle du conflit; dans le projet de loi initialement destiné à servir de cadre pour organiser le secteur des crèches et des jardins d'enfants, des dispositions ont été glissées modifiant la mouture initiale présentée par le ministère. Des articles portant sur l'ancrage de l'identité arabo-musulmane, sur l'enseignement des langues, avec cette mention, « le silence de l'administration, au bout de deux mois, vaut acceptation ». Demain, si un jardin d'enfants décidait d'enseigner à des enfants en bas âge la langue turque, ou autre, et si l'administration ne répondait pas, pour n'avoir pas encore tranché, ou à cause des complications procédurales, son silence serait assimilé à un accord. Or, s'insurge la députée d'Afek Tounès, toute acceptation doit se faire par écrit, en bonne et due forme. Mais encore, la nouvelle lecture amendée en commission de la santé et des affaires sociales énonce une réduction des peines des contrevenants. Dans le projet initial présenté par le ministère de la Famille, ceux qui ouvrent et exploitent les jardins d'enfants coraniques et anarchiques embauchent un personnel non qualifié, écoperaient d'une peine pouvant aller jusqu'à dix ans. Dans le projet de loi actuel, la peine a été réduite de moitié ; pareil pour les amendes de cinq mille ramenées à 3 mille. «Lorsque le bloc Ennahdha, appuyé par certains nidaistes et non tous, ont constaté que leur version n'allait pas obtenir suffisamment de voix en plénière, ils ont décidé de faire pression pour ramener le projet au domaine des compétences du pouvoir réglementaire, et non législatif ». Rim Mahjoub d'Afek Tounès, et Hssouna Nasfi du bloc El Horra, chacun avec son argumentaire, ont mis en avant les contradictions des députés nahdhaouis, puisque le projet de loi a été déjà adopté en commission, pourquoi décider maintenant qu'il ne relève plus des compétences du pouvoir législatif. D'autant qu'une instance est chargée de statuer sur la constitutionnalité ou non des lois. Chacun joue son rôle en démocratie. Les députés du parti Ennahdha et avec eux un élu de Nida Tounès, se sont drapés dans le formalisme juridique, s'inquiétant de voir la loi rejetée. L'arrière-plan politique est essentiel pour comprendre cette manœuvre et que chacun prenne acte, relève Mongi Harbaoui du Front populaire, au cours de son intervention. Proverbe à méditer : « Avec du temps et de la patience, on vient à bout de tout».