Par Dr Rejeb Haji* « Si les empires, les grades, les places ne s'obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n'étaient achetés qu'au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés» (William Shakespeare, «Le Marchand de Venise») Une nouvelle tempête vient perturber le calme de nos rivages. Certains se réveillent aujourd'hui et découvrent que la corruption s'est répandue et mine le développement du pays. Une grande partie de la presse, de toutes ses tendances, avait applaudi, il n'y a pas si longtemps, à tout rompre, la venue d'un dictateur qui l'a fructifiée. Des articles des plus élogieux sur le coup d'Etat médical et ses fomenteurs qui étaient une bande sans scrupule dont l'objectif était le pouvoir et la fin l'enrichissement. Elle a fait allégeance de tout son poids. Elle a embelli l'image à ne plus en finir, flatté les discours sans discontinuité et auréolé les orientations à outrance. Le dictateur et ses disciples leur ont renvoyé l'ascenseur et leur ont fait bénéficier de multiples avantages sur le dos du contribuable. Ils avaient empoché la mise, profité des voyages et crié, jusqu'à la démesure, leur appui total et sans réserve. Le livre noir demeure toujours là d'actualité et peu de personnes citées ont défendu leur innocence et leur dignité. La Tunisie de demain qu'ils ont imaginée et les scénarios qu'ils ont formulés se sont volatilisés et partis en fumée, par la révolution d'un peuple soumis qui souffrait du chômage et de la précarité. Loin d'entrer dans leur coquille et disparaître de la scène, ils s'érigent aujourd'hui en donneurs de leçons, voire en sous-main, attisant le feu et recherchant la vengeance. A se demander si l'histoire ne va pas se régénérer et se répéter sous une autre forme et sous un autre manteau. Va-t-on nous refaire le même coup, en s'alliant même au diable, pour arriver à leur fin et éviter la justice ? Profite-t-on d'un environnement dégradé, déstabilisé et parasité par les affaires pour se retrouver un nouveau point d'attaque ? Spécialistes dans le maniement des contraires, certains oublient leur passé et tentent par des encouragements occultes de conquérir une nouvelle notoriété pour l'avenir. Ces usages de la politique du temps du fuyard refont surface. C'est à craindre pour le pays ! Une formation parallèle du citoyen est véhiculée par des médias sans éthique. Ils rapportent les ragots et glorifient ceux qui sèment à tout vent pour rechercher le devant de la scène. Certains se réfèrent encore à une révolution qui a fait son temps. Elle n'a mené qu'à la nomenklatura et à la dictature. Tout le monde s'en mêle aujourd'hui pour ajouter à la confusion et au brouillard épais que traversent le pays. A y voir de près, la mosaïque des partis, plus de 205, et de leurs appendices (micropartis, associations, sites internet, Facebook...) et l'explosion de la scène médiatique avec ses 85 quotidiens et hebdomadaires, ses 14 chaînes de télévision, ses 29 stations de radio et les « facebookers » dont le nombre est indéterminé, n'étaient-elles pas une réponse aux dernières décades de frustration ? Ce défoulement généralisé ne suffit nullement pour affirmer la démocratie et le progrès. Des contre-pouvoirs et des garde-fous sont nécessaires pour barrer le chemin à des masses colossales d'argent qui s'y investissent. L'origine de ces fonds reste encore inconnue et le montant souvent indéterminé. La voie du salut serait alors le contrôle du financement des partis, des mini-partis, des associations et des lobbys des médias. Il faut s'y attaquer, tout en sachant que professer la vertu est tributaire de l'exemplarité. Pour aider au retour de la confiance, les dirigeants du pays doivent donc déclarer leur revenu et les publier. Pour faire face aux vrais problèmes qui restent en suspens : le chômage, l'insécurité, même si la situation s'améliore, la cherté de la vie, la chute continue du dinar, la pauvreté qui progresse, l'inégalité des régions qui s'accentue, l'arrogance qui se fait jour par des hordes dangereuses suppôts de la subversion... L'expérience d'être gouverné par des responsables de partis politiques a montré ses limites et a démontré son échec. En effet, pour ces gouvernants, le parti et ses échéances électorales deviennent des priorités, ce qui jette le doute sur leur probité. Ils multiplient alors les effets d'annonce et les promesses, ce qui ne fera qu'aggraver un contexte déjà difficile. La course effrénée et constatée des politiques qui accaparent les médias se résume au paraître. Ceux qui fanfaronnent de parler au nom du peuple ou de le représenter polluent un débat public encore tant attendu. Certains parmi eux, dont les dossiers sont aux mains de la justice, doivent démissionner immédiatement. D'autres, ceux qui amalgament les intérêts de leur parti avec l'intérêt public doivent quitter la table. Il faut dénicher, ceux qui, têtes hautes et mains propres, pourraient rétablir la confiance. La corruption, mise en exergue ces derniers temps, malgré la commission spécialisée, créée à cet effet, nourrit encore plus tous les populismes et favorise le climat actuel délétère. Les politiques de petits arrangements sont rejetées par les citoyens et ne les supportent plus. Notre étonnement et notre stupeur sont accentués par des enquêtes d'opinion, publiées par des quotidiens, en dehors de toute légalité. Ces enquêtes nous prouvent que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Seul, à l'heure actuelle, l'Institut national de la statistique (INS) est apte à diligenter un tel sondage d'opinion. Cette institution qui devrait être autonome et rattachée au Premier ministre, regorge de professionnels dans le domaine de la statistique et dispose, en plus, de véritables échantillons représentatifs. Son dernier sondage efficace, publié en octobre 2015, vérifiant les critères scientifiques requis, demeure une référence pour les politiques et le monde de l'information. Il aurait dû être analysé et ses conclusions décortiquées. A notre regret, il n'a pas eu l'attention qu'il mérite, surtout de la part des gouvernants dont le devoir est d'écouter, d'analyser, de programmer, de prévoir et de planifier. Les conclusions à propos de la corruption (pots-de-vin, perversion...) méritent d'être livrées. L'échantillon, étudié durant la période du 23 septembre au 15 octobre 2014, englobe près de 10.600 individus, âgés de 18 ans et plus, répartis sur 4500 familles. La méthode utilisée est le sondage aléatoire (tirage au hasard) en grappes. Une première étape a permis de retenir 298 unités de la population entière. Une deuxième étape pour tirer 15 grappes contenant 15 familles. Il ressort des chiffres observés que les citoyens se déclarent convaincus de l'existence de la corruption, au niveau régional, dans tous les secteurs : 50% dans plusieurs entreprises étatiques ; plus de 67% dans les secteurs de la santé et dans celui de la sécurité ; 22% déclarent avoir payé pour un service rendu et seulement 6% acceptent cet état de fait ; 70% des questionnés pensent que les efforts de l'Etat pour lutter contre la corruption sont sans effets ; 55% sont au courant de l'existence d'un comité national de lutte contre la corruption ; 70% considèrent que son action sera négligeable ; 67% refusent de payer pour un service alors que 6% l'acceptent. Ces pourcentages sont révélateurs de l'état de l'opinion publique. Ils méritent qu'on s'y attarde. Ce premier sondage, à mon avis, est réussi. L'Etat peut s'en servir. Il est évident que les choses ne vont pas bien et que le pays a besoin d'un nouveau souffle. Il est dos au mur : la survie ou le déclin ! Une nouvelle tendance à la contestation et à la revendication se manifeste par la rue, parce que le pouvoir est faible. Il est temps que les fondamentaux pragmatiques bourguibiens réapparaissent dans la conduite des affaires de l'Etat. Ce sont les seuls capables d'affronter les défis et de remettre le pays en ordre et l'économie en mouvement! Quant à la lutte contre la corruption, il faut l'accentuer, en assumant chacun son rôle et en laissant la justice faire son devoir. Qu'elle mène une série d'enquêtes judiciaires visant des politiques, c'est son devoir. Qu'elle poursuive le système de corruption et de financement illicite des associations et des partis politiques, c'est le vœu de l'opinion publique. Les politiques de notre temps étant « des gens qui observent les règles d'honneur, comme on observe les étoiles, de très loin » (Victor Hugo), une opération « mains propres » à l'italienne, celle de 1980,provoquerait alors un bouleversement et serait le signe d'unvéritable passage à une seconde République. *Docteur en statistiques; docteur d'Etat en sciences économiques; premier maire de Melloulèche...