La sortie médiatique de Rached Ghannouchi en date du 1er août, le refus par certains ténors de voter la loi sur la réconciliation administrative, les déclarations de certains députés sur «les tabous», la présence massive des indépendants sur les listes des candidats aux municipales sonnent-ils le dernier quart d'heure de la cohésion nahdhaouie ? Quand Abdellatif Mekki, Mohamed Ben Salem, Nadhir Ben Ammou, Monia Brahim et Béchir Lazzem décident de voter contre la loi sur la réconciliation administrative et clament publiquement que cette loi blanchit les corrompus du régime de Ben Ali et récompense les corrupteurs qui ont financé l'accession de Nida Tounès aux palais de Carthage, du Bardo et de La Kasbah, quand Samir Dilou quitte l'hémicycle au moment du vote de la loi, quand Nadhir Ben Ammou démissionne du bloc parlementaire nahdhaoui en signe de protestation contre le vote de la loi en question et récuse toutes les tentatives visant à le faire revenir sur sa décision, quand Monia Brahim traite devant les journalistes Noureddine B'hiri, le chef du groupe parlementaire nahdhaoui, de délateur en lui lançant à la figure : «Va faire ton métier de délateur et informer ton chef que Monia a voté contre» et quand Abdelkrim Harouni, président du Conseil de la choura, assure que le Conseil soutient l'appel lancé le 1er août à Youssef Chahed lui intimant le conseil-ordre de ne pas se porter candidat à l'élection présidentielle de 2019, alors que la réunion n'a pas examiné la question, quand Lamia Zoghlami insiste pour que les comptes de Sihem Ben Sedrine soient épluchés par une commission parlementaire d'investigation et demande à ce que toute la vérité soit dévoilée sur les réseaux qui ont envoyé les jeunes Tunisiens se faire massacrer en Libye et en Syrie, il faut avoir le courage de le dire et de l'affirmer : il y a quelque chose qui se passe au sein d'Ennahdha et les mécontents ont décidé de ne plus se taire. Il est clair maintenant que le discours traditionnel nahdhaoui, fondé essentiellement sur la cohésion des rangs, la discipline partisane dans son expression la plus orthodoxe et le respect ou l'obéissance au chef-guide du parti, n'ont plus droit de cité à Montplaisir. Depuis le congrès de Hammamet en juin 2016, rien n'est plus comme avant au sein d'Ennahdha, Rached Ghannouchi y a réussi, en menaçant de quitter le parti si on ne le laisse pas choisir lui-même les membres du bureau exécutif, à imposer ses nouvelles orientations, plus particulièrement celle de séparer l'action de prédication de l'action politique et de faire en sorte qu'Ennahdha devienne un parti politique comme tous les autres mais «toujours attaché au référentiel islamique». Une année et trois mois plus tard, c'est-à-dire en septembre 2017, les désaccords ne sont plus tus. La démocratie qui a fait exploser Nida Tounès en trois partis et a obligé Mustapha Ben Jaâfar et Néjib Chebbi à quitter leurs partis est en train de faire son effet au sein d'Ennahdha même si on continue toujours à nier l'évidence. Aujourd'hui, Abdellatif El Mekki dénonce les adeptes de «la psychose de voir le parti éclater au cas où Ghannouchi le quitterait, un discours répandu par ceux qui refusent que le parti s'aligne sur les nouveautés qui traversent le pays» et rappellent «que le mouvement a réussi à résister et à se préserver quand sa direction était en prison dans les années 80 du siècle précédent ou en exil jusqu'à l'avènement de la révolution en janvier 2011» (voir les déclarations d'El Mekki au journal Al Arab du dimanche 17 septembre), et on a le sentiment que l'implosion ou au moins le divorce entre Ghannouchi et ses anciens collaborateurs les plus fidèles du temps des épreuves dures n'est plus qu'une affaire de timing. Pour le moment, aucun parmi les contestataires n'a exprimé l'intention de quitter le parti comme l'ont fait auparavant Hamadi Jebali et Riadh Chaïbi. Ils refusent également l'idée de créer un autre parti qui pourrait réunir les mécontents dans les régions qui n'ont pas accepté la décision d'ouvrir les listes nahdhaouies aux élections municipales à quelque 52% des personnalités indépendantes. Les observateurs s'attendent à une fronde au sein des régions de l'intérieur du pays comme ce fut le cas lors des législatives de fin octobre 2014 quand plusieurs leaders régionaux «de la première heure» se sont trouvés écartés au profit des «compétences revenues de l'exil qui n'ont pas fait de prison».