Par Khalifa CHATER «L'Europe dans le miroir de l'Allemagne», plutôt que «l'Europe dans le miroir de la Suède» (référence à l'arrivée de l'extrême droite au Parlement suédois) ou «l'Europe dans le miroir des Roms» (référence à l'épreuve des émigrés de Bulgarie et de Roumanie). Le choix de ce titre me permet d'adopter, en la corrigeant, la formule utilisée cette semaine par des observateurs avertis qui ont tenté de définir très approximativement l'évolution de l'Europe. Il ne s'agit certes pas de minimiser l'impact du succès des nouvelles extrêmes-droites européennes, de l'Italie aux Pays-Bas et du Danemark à la Suisse, en passant par la Belgique. A la recherche de l'événement, les médias occidentaux leur offrent volontiers les plateaux de télévision et leur permettent de diffuser leur discours d'exclusion, de rejet et de dérive. Mais ne surestimons guère ces faits de surface qui ne représentent pas l'opinion publique générale, ni en Suède, pays pionnier, inventeur de la social-démocratie moderne et de l'Etat-providence le plus performant du demi-siècle passé, ni en France, pays des droits de l'Homme, ni ailleurs. Evolution marginale que les partis de la droite traditionnelle qui continuent à ne pas aborder de front le recul économique et industriel de l'Europe, préfèrent ménager, sans réaliser ses graves effets, sur leur cohésion nationale et leurs relations méditerranéennes et internationales. La question du renvoi des Roms atteste plutôt l'échec de la stratégie de leur intégration, dans l'Union européenne. Le débat passionné qu'elle a suscité entre les partenaires européens est une véritable «tempête dans un verre d'eau», un événement éphémère que la raison de l'Etat européen en formation dépassera dans les plus brefs délais. Là aussi, les états d'âme, les humeurs marquent les boulevards de l'information, ces «petites lucarnes» qui croient devoir traduire les opinions publiques. Elles adoptent le discours «politiquement correct», qui réduit leurs champs d'investigations à des visions réductrices et bien souvent nombrilistes, en deçà même des approches européocentristes. Ne faudrait-il pas plutôt replacer ces «faits divers», érigés en événements, dans les marges de la radicalisation droitière de certains pays et de l'émergence d'une Europe sociale, contestant les plans de rigueur adoptés dans le contexte de l'après-crise. L'observateur étranger ne peut que constater l'ampleur d'une mutation, sous l'effet incontestable de la dynamique intérieure. Face aux enjeux du contexte, les velléités identitaires minoritaires et ses discours de repli expriment des nostalgies d'arrière-garde, dans notre aire-monde. Il faut les mettre sur «le compte des pertes et profits», tout en les identifiant dans les surenchères politiques. La commémoration du vingtième anniversaire de l'unification de l'Allemagne, cette semaine, célèbre un épisode symbolique de la fin de la guerre froide et un fait marquant de l'actualité internationale. Aspiration réalisée de la nation allemande, l'unité fut accomplie dans les meilleures conditions possibles, dans le cadre d'une solidarité assumée. L'évaluation de la situation atteste cependant les progrès limités de l'intégration globale. Certaines régions de l'ex-Allemagne de l'Est n'ont pas encore atteint le niveau socioéconomique général. On ne peut effacer d'un trait les effets de l'histoire et de la géopolitique. L'Allemagne nouvelle subit les effets de la coexistence de deux cultures, qui marquent les générations de la guerre froide. Puissance économique et acteur important de l'Union européenne, la nouvelle Allemagne exprime ses vues et imprime sa marque, dans le cadre du compromis unitaire de l'Union européenne. Elle fait valoir volontiers ses relations préférentielles vers l'Est, compensant les vues des pays euro-méditerranéens. L'option prioritaire en faveur de «la politique de voisinage» adoptée par l'Union européenne et la redimension du projet initial de l'Union méditerranéenne correspondent à sa géopolitique. Ce qui n'exclut pas d'ailleurs une politique volontaire d'ouverture sur les pays sud-méditerranéens, mettant en valeur les relations culturelles et le partenariat. Dans son discours, lors des festivités de l'unité, le 3 octobre à Brême, en présence de la Chancelière Angela Merkel et de son prédécesseur Helmut Kohl, ainsi que du président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, le président Christian Wulff a insisté sur l'intégration des immigrés musulmans, présentée comme l'un des grands défis de l'Allemagne : «Vingt ans après la réunification, nous sommes devant l'immense tâche de trouver une nouvelle solidarité dans une Allemagne qui fait partie d'un monde changeant à toute vitesse… Bien sûr, la chrétienté fait partie de l'Allemagne. Bien sûr, le judaïsme fait partie de l'Allemagne. Mais à présent, l'Islam fait également partie de l'Allemagne». Plus d'efforts d'intégration de la part des étrangers et plus de tolérance de la part des Allemands, le Président allemand prend ses distances avec les discours de l'extrême-droite. Il demande la prise en compte de l'apport de l'émigration et de l'enrichissement démographique. Ce rejet des velléités d'exclusion devrait permettre de rectifier le tir et de condamner les dérives tous azimuts, par un simple un retour aux normes. Fait pertinent, l'actualité du week-end a été marquée par le soutien de la Chine à la Grèce et la prise en charge de sa dette, par l'achat de nouvelles obligations grecques. Soutien de l'euro, recherche de marchés, comment évaluer l'initiative de compensation chinoise que des critiques hâtives ont présenté comme l'ouverture d'une porte d'entrée de Pékin sur l'Europe et les Balkans. «L'Europe dans le miroir de l'Allemagne» doit s'accommoder des effets de la mondialisation.