En Tunisie, les intoxications dues aux pesticides viennent en second lieu après celles causées par les médicaments. La part belle de l'usage des pesticides revient à l'agriculture en Tunisie, un secteur dans lequel 95% des pesticides importés sont utilisés pour améliorer le rendement agricole, à raison de 5 kilogrammes par hectare. En Tunisie, 95% des pesticides sont utilisés par les agriculteurs. Conséquence : des fruits et légumes présentant une concentration élevée de résidus de pesticides atterrissent quotidiennement dans nos assiettes, ce qui remet, sur la table, la problématique de l'alimentation saine et les risques que présentent les pesticides pour la santé du consommateur. Le débat fait actuellement fureur en France où la présence de pesticides a été détectée dans des produits agricoles labellisés «bio». A l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de l'alimentation, l'Institut national de la consommation a organisé une conférence de presse à la Maison de l'exportateur (Cepex). La question a été évoquée sous l'angle de l'équation difficilement réalisable entre le recours aux pesticides pour obtenir un bon rendement agricole et la préservation de la santé des consommateurs des risques auxquels ils sont exposés, en consommant des produits agricoles présentant une concentration élevée de résidus de pesticides. Il faut savoir que «les pesticides sont des composés chimiques dotés de propriétés toxicologiques utilisés par les agriculteurs pour lutter contre les animaux (insectes, rongeurs) ou les plantes (champignons, mauvaises herbes) jugés nuisibles aux plantations. Différentes catégories sont décomptées. Les insecticides ciblent les insectes, les raticides s'attaquent aux rats, les fongicides détruisent les champignons et les herbicides éliminent les mauvaises herbes. Un cocktail détonnant qui met en danger l'alimentation à base de fruits et légumes ! En ouverture, Tarak Ben Jezia, président de l'INC, a appelé à la promulgation d'une loi tunisienne sur la sécurité alimentaire et industrielle pour la santé du consommateur : «Depuis 2011, l'adoption de la convention de Stockholm sur les pesticides interdits permet de protéger la santé des consommateurs», a relevé ce dernier. Pesticides, usage à double tranchant D'emblée, M. Hamadi Dekhil, directeur de l'Agence nationale du contrôle sanitaire et environnemental des produits, a résumé son exposé sur «la maîtrise des risques liés aux pesticides » dans une déclaration à La Presse : «Les pesticides sont utiles et indispensables, mais ils représentent également une source de danger pour l'environnement. L'usage de pesticides, sécurise la production agricole et sauvegarde la récolte, mais il perturbe la santé. Sans guide réglementaire, son utilisation à grande échelle peut engendrer des effets néfastes sur la santé du consommateur et l'environnement. En Tunisie, même si l'usage agricole des pesticides obéit à une réglementation stricte, il existe, cependant, un vide juridique quant aux risques sanitaires et environnementaux liés à l'usage de ces derniers. Les risques sur la santé liés aux pesticides sont en fonction de la dose, de l'exposition et de la vulnérabilité de la personne. Ils peuvent être immédiats ou différés, réversibles ou irréversibles. 220.000 décès dans le monde sont causés par les pesticides En outre, les résidus des pesticides sont identifiés dans l'eau, le sol, l'air et les denrées alimentaires. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les pesticides, comme tout produit chimique, cumulent des effets allergisants, neurotoxiques, cancérigènes, mutagènes, hormonaux... Mme Hanène Chaâbane, professeur assistante à l'Institut agronomique de Tunis, pousse le raisonnement plus loin, sur l'étendue des dégâts : «On peut détecter des résidus de pesticides dans l'air ou même dans de l'eau minérale mal traitée. Les pesticides provoquent même des intoxications chez les jardiniers amateurs qui y sont quotidiennement exposés ! Aujourd'hui, on en parle ouvertement, alors qu'en 2001 on n'osait pas se prononcer sur ce sujet». L'Organisation mondiale de la santé estime que le nombre d'intoxications graves s'élève à trois millions à travers le monde, alors que le nombre de décès liés à l'exposition aux pesticides s'élève à 220.000 par an. Près de 750.000 personnes tombent, chaque année, malades à cause de leur exposition aux pesticides. En Tunisie, l'intoxication due aux pesticides vient en second lieu après celle causée par les médicaments. Une carte de la consommation de pesticides dans le monde a été établie en 2003. Selon les données qui y figurent, l'Europe et l'Amérique latine viennent en tête du classement de l'usage des pesticides dans le secteur agricole, suivis par l'Asie et l'Afrique. En 2003, la Tunisie se trouvait dans une position médiane, sous le seuil de 1 kilogramme par hectare de terre agricole avant d'atteindre aujourd'hui cinq kilogrammes par hectare, ce qui est au-dessus du seuil moyen à l'échelle mondiale. Elle doit, aujourd'hui, s'imprégner des changements qui sont opérés dans le monde en faveur d'une limitation de la consommation de pesticides. Directrice à l'INC, Mme Derine Deggui a mis l'accent sur les dispositions prises dans les pays d'Europe de l'Ouest pour limiter l'usage de pesticides dans le secteur agricole. Pays pionnier en la matière depuis 1986, le Danemark a réalisé des avancées considérables en matière de réduction de l'usage de pesticides, en atteignant le stade quatre, qui correspond au stade le plus avancé en matière de plan de réduction des pesticides. La Suisse, la France, la Belgique et l'Allemagne lui ont emboîté le pas avec des politiques similaires. Par contre, la Tunisie, pays importateur par excellence, a vu ses importations doubler, de 2006 à 2016 passant de 3.750 tonnes de pesticides à 6.662 par an ! Alors que les pays occidentaux sont en train de résorber leur vulnérabilité et leur dépendance par rapport aux pesticides... La part belle de l'usage des pesticides revient à l'agriculture en Tunisie, un secteur dans lequel 95% sont importés et utilisés pour améliorer le rendement agricole, à raison de 5 kilogrammes par hectare de terre agricole contre 3,7 en France ! Le chemin est long et sinueux. Le développement de l'agriculture biologique en Tunisie représente l'une des alternatives les plus intéressantes pour réduire l'usage de pesticides dans le secteur agricole et limiter ainsi les risques pour l'environnement et la santé du consommateur.