Baisse de la fertilité, malformations et autres problèmes de santé sont liés à l'usage des produits chimiques en agriculture.Ces produits sont également en partie responsables de la perte de la biodiversité et de la «mort» des sols. Dans le cadre de la Semaine du produit biologique en Tunisie, l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (Utap) a organisé, hier à Tunis, un forum national ayant pour thème «l'agriculture biologique : alternative pour préserver la santé et l'environnement». L'événement a permis de montrer les défis actuels auxquels l'agriculture doit faire face. Il y a plus de 50 ans, le principal défi était d'assurer la sécurité alimentaire. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les agriculteurs avaient commencé à utiliser les produits chimiques pour améliorer leur rendement. «ça a donné de bons résultats au départ, dans les années 1960. Le rendement a augmenté au moment où la population a grimpé», affirme Hassen Aloui, pédologue, directeur de la division Agriculture bio à Béja. Les produits chimiques sont toujours utilisés de nos jours, mais leur efficacité est remise en question. «Le sol était ce qu'on appelait le support et le garde-manger de la plante. Elle y trouve l'eau et les éléments nutritifs dont elle a besoin. Pendant des décennies on n'a fait qu'apporter la chimie dans le sol pour la nutrition de la plante. On a, de ce fait, court-circuité le sol et l'intermédiaire microbien, on a tué le sol. Le sol devient un support, il est inerte et ne peut plus jouer son rôle. Les intermédiaires microbiens, explique le pédologue, sont les champignons, les bactéries et les vers de terre qui vivent dans le sol. Ils nourrissent la plante en lui apportant des "associations nutritives très équilibrées"». L'agriculture intensive a, non seulement appauvri et dégradé les sols, mais a de plus induit «une perte de biodiversité, une érosion génétique et la pollution des écosystèmes», affirme Khaled Sassi, chercheur à l'Institut national agronomique de Tunisie. «Dans ce type d'agriculture, mis à part les engrais, on utilise des insecticides peu sélectifs qui éliminent aussi bien les insectes "indésirables" que les espèces "auxiliaires", utiles. Les plantes adventices sont également éliminées, pour éviter qu'elles entrent en concurrence avec les espèces cultivées pour l'eau ou les nutriments, alors qu'elles peuvent attirer les insectes pollinisateurs ou être utilisées comme engrais naturel». Les produits toxiques sont rémanents «L'homme vit plus longtemps mais dans quel état?», interroge Dr Thouraya Annabi Attia, directrice du contrôle sanitaire des produits à l'Agence nationale de contrôle sanitaire et environnemental des produits. Les antibiotiques, et autres produits chimiques utilisés en agriculture, laissent des résidus dans les aliments. «On utilise ces produits pour lutter contre la maladie et avoir une meilleure production, mais ceci a un impact sur la santé humaine». A partir d'un certain seuil, les résidus deviennent toxiques. Il existe des seuils réglementaires, dits limite maximale de résidus (LMR),qui ne doivent pas être dépassés. Les produits alimentaires ne respectant pas ces LMR ne peuvent être commercialisés. Le risque, alerte la directrice, survient quand «plusieurs petites doses de différents résidus interagissent. Les effets sont inconnus, ils peuvent être préjudiciables sur la santé». A échelle mondiale, on observe une baisse de la fertilité à cause de l'exposition aux pesticides. En Tunisie, on observe des cas de puberté précoce, à 5 ou 6 ans, et des malformations. «Les études épidémiologiques les relient aux produits chimiques auxquels on est exposé». Le problème est d'autant plus grave que ces produits toxiques sont rémanents, c'est à dire qu'ils subsistent longtemps dans la chaîne trophique. «A mon sens, le défis dans l'agriculture biologique est d'essayer de produire des aliments sains, mais tout en créant l'équilibre écologique, en plus de régler le problème de fertilité des sols», estime Samia Maâmmar, directrice générale de l'Agriculture biologique au ministère de l'Agriculture. En agriculture biologique, en effet, les produits chimiques de synthèse ne sont pas utilisés. On privilégie les interactions naturelles qui existent entre les espèces, et l'utilisation des composts et des engrais verts. Les OGM sont bannis. «Nous n'avons pas suffisamment de recul pour voir l'impact des OGM sur la santé, explique la responsable. De plus, les semences des OGM ne peuvent pas être replantées, donc ça crée une dépendance vis-à-vis des multinationales qui les vendent». Conversion graduelle Passer de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique est possible, mais de façon graduelle. «On est à un stade tellement tributaire des engrais chimiques et des pesticides, qu'on ne peut pas aujourd'hui se passer directement d'eux, affirme Hassen Aloui. Il faudrait commencer à raisonner l'utilisation des engrais, car on en donne plus qu'il n'en faut». Pour l'expert, on devrait, en parallèle, réintroduire la matière organique dans le sol. «On doit gérer la nature, et non pas l'exploiter», soutient Khaled Sassi. L'agriculture biologique est de plus en plus répandue dans le monde. En Tunisie, la production reste «modeste», selon Abdelmajid Ezzar, président de l'Utap. «C'est peut-être parce que les producteurs ne sentent pas que c'est rentable. Il faut qu'on identifie les problèmes essentiels, et améliorer la rentabilité et le rendement de l'agriculture biologique, pour encourager son développement», conclut-il. En marge du forum national, une exposition des produits biologiques a été organisée au siège de l'Utap. «Il y a partout les mêmes produits, ce n'est pas assez diversifié», constate Yosra Chaibi, manager au sein d'une société de distribution de produits bio et naturels. Pour elle, la matière première existe mais il y a un effort à faire pour la valoriser, en améliorant les emballages et en créant des produits plus élaborés.