Le processus de justice transitionnelle est en crise en raison d'une improvisation qui a tué dans l'œuf tout espoir de voir émerger une structure légale, régie par des règles conformes aux standards internationaux Quelle mouche a piqué les alliés d'hier pour qu'ils soient à couteaux tirés, après une toute courte lune de miel ? Voilà la question que se posent, ces derniers temps, bien des Tunisiens par rapport aux relations de plus en plus tendues entre les députés du Mouvement Ennahdha et la présidente de l'Instance vérité et dignité (IVD), Sihem Ben Sedrine. Eclairage de l'ancien président du Réseau tunisien de la justice transitionnelle (Rtjt), Mohamed Kamel Gharbi. Le processus de justice transitionnelle trébuche, fait-il remarquer, en raison d'une improvisation qui a tué dans l'œuf tout espoir de voir émerger une structure légale, régie par des règles conformes aux standards internationaux. Carences Les manquements de l'IVD étaient tels qu'ils ont érigé plusieurs épines sur la voie de la justice transitionnelle, de l'avis de l'ancien activiste associatif. « Si le bilan de l'IVD est jusque-là très maigre, c'est que les trébuchements ont été multiples. D'abord, on a eu droit à une seule version, celle des victimes, sans l'autre son de cloche : celui des responsables des violations des droits de l'Homme, en raison d'une relation conflictuelle avec le pouvoir. Puis, il faut dire que les conflits internes et les luttes intestines au sein de l'Instance ont occasionné un grand retard dans le traitement des dossiers », précise Gharbi. L'IVD a, en effet, reçu 63 mille dossiers à la date du 15 juin 2016, alors qu'elle n'a examiné que 45.600 auditions, selon les récentes déclarations de Sihem Ben Sedrine à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). L'autre carence qui aurait significativement entaché le travail de l'Instance n'est autre que son incapacité, sinon la lenteur accusée dans l'avancement des dossiers, surtout ceux qui devraient être transmis aux tribunaux compétents pour trancher (les dossiers relatifs aux actes de viol, de torture et d'emprisonnement sans procès équitable, entre autres). La goutte qui a fait déborder le vase, fait observer l'ancien président du Rtjt, est la non-satisfaction des demandes de plusieurs victimes parmi les anciens membres et sympathisants d'Ennahdha. « Ces derniers, souffrant de maladies et vivant des situations précaires, se sont rebiffés contre l'improvisation et les calculs de Sihem Ben Sedrine. Ennahdha n'a fait que suivre les revendications de ses adhérents, compte tenu des échéances électorales à venir», explique notre interlocuteur. Ce qui reste à faire A la question de savoir quel plan et quelles actions pour le sauvetage, Gharbi répond ainsi : « D'abord, combler les postes vacants dans la composition de l'IVD qui fonctionne actuellement avec 9 membres au lieu de 15, ce qui empêche d'atteindre le quorum requis (2/3), au besoin. Deuxièmement, il faut que l'Instance arrête la liste définitive des victimes et fixe les critères de leur indemnisation, sans, pour cela, omettre de déférer les dossiers concernés devant les tribunaux compétents. Troisièmement, la présidence du gouvernement est appelée à promulguer l'arrêté réglementaire du Fonds de la dignité, conformément à l'article 41 de la loi 53 de la justice transitionnelle. Quatrièmement, l'IVD doit finaliser son rapport définitif et le remettre aux trois présidences dans les délais impartis (mai 2018) ». S'il y a une conclusion à déduire de ce processus trébuchant de la justice transitionnelle en Tunisie, c'est que tout projet régi par des calculs personnels et partisans, aux dépens du bon sens et de la légalité, se soldera, tôt ou tard, par un échec cuisant, soutient l‘ancien président du Rtjt. Que l'on tienne la Constitution et les lois organisant le vivre-ensemble pour des chemises à coudre en fonction de la taille et de l'ego des personnes et des partis en exercice, cela ne fait que discréditer les instigateurs et alliés. L'Instance vérité et dignité a été instituée le 24 décembre 2013. Elle a pour mission de « démanteler le système autoritaire et de faciliter la transition vers un Etat de droit ». Ce, « en révélant la vérité sur les violations du passé, en déterminant la responsabilité de l'Etat dans ces violations, en demandant aux responsables de ces violations de rendre compte de leurs actes, en rétablissant les victimes dans leurs droits et leur dignité, en préservant enfin la mémoire et en facilitant la réconciliation nationale », selon le site officiel de l'IVD.