Par Abdelhamid GMATI «Notre guerre contre la corruption est notre première ligne de défense du régime démocratique, c'est la guerre de tous les Tunisiens honnêtes», affirmait, samedi dernier, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, à la clôture du 2e congrès national sur la lutte contre la corruption. Et il ajoutait : «Nous sommes aujourd'hui unanimes : ou bien la démocratie ou bien la corruption... ou bien l'Etat ou bien la corruption... ou bien la Tunisie ou bien la corruption. Nous avons choisi la Tunisie». De fait, tous les partis politiques, les syndicats, les associations, la société civile, les citoyens lambda, tous se sont déclarés contre la corruption en approuvent la guerre contre ce fléau. Dans les faits, on découvre d'autres données. Le député du bloc de Machrou Tounès, Sahbi Ben Fredj, faisait part, il y a, quelques jours, de ses appréhensions, annonçant que « des parties politiques sont en train de pratiquer d'énormes pressions sur l'appareil judiciaire afin de clôre le dossier de l'affaire de haute trahison et d'atteinte à la sûreté de l'Etat, dans laquelle est accusé l'homme d'affaires Chafik Jarraya, en compagnie de hauts cadres sécuritaires». Il semble que les craintes du député se confirment : la neuvième chambre de la Cour d'appel de Tunis devait examiner, au cours de sa séance d'hier, la demande présentée par la défense de l'accusé Sabeur Laâjili, pour le retrait de l'affaire des mains de la justice militaire et le transfert du dossier au pôle judiciaire contre le terrorisme. Une première étape vers la clôture du dossier. De son côté, Chawki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), estime : « Nous avons franchi de grands pas dans l'élaboration d'un cadre législatif pour la lutte contre la corruption, mais nous manquons encore des textes d'application ». Pour lui, l'ampleur de la contrebande et de l'économie informelle « ne peut se faire que par la complicité et la bienveillance de certains dans l'Administration publique qui assurent la couverture nécessaire aux contrebandiers. Cela prouve que les complices se trouvent partout: dans les forces de l'ordre, dans les douanes, dans la garde nationale, dans les ports et aéroports, dans nombre de ministères dont ceux de l'Agriculture, de l'Environnement, du Commerce et d'autres. Nous savons qu'au moins entre 6 et 7 départements ministériels sont directement impliqués dans des affaires de commerce informel ou de contrebande». Pour sa part, le juge à la retraite, Ahmed Souab, a affirmé que « la non-exécution des jugements judiciaires constitue une des formes de la corruption», conformément au 2e article de la loi sur la dénonciation de la corruption et de protection des dénonciateurs, qualifiant cette situation de « violation de la loi, une humiliation du juge et du justiciable ». Le juge Mohamed Ayadi, membre de l'Inlucc, évoque l'existence « de juges corrompus qu'il importe de neutraliser», et insiste sur la nécessité de doter l'appareil judiciaire de magistrats spécialistes en affaires de corruption, «car en l'absence de poursuites judiciaires, la lutte contre la corruption n'a pas de sens». La corruption touche aussi les associations. Le nombre des associations a quasiment doublé, passant de près de 10.000 en 2010 à 20.698 au 15 septembre 2017. Or, de graves dérapages sont signalés concernant des accointances avec des parties étrangères, d'obédience religieuse, islamiste ou autres, de financement extérieur important échappant dès sa réception à toute traçabilité, de risque de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme, de détournement à des fins politiques et électorales. Il se trouve que les services de la présidence du gouvernement ne peuvent pas saisir la justice directement, mais par étapes. Il faut passer par le chef du Contentieux de l'Etat (relevant du ministre des Domaines de l'Etat). Et selon le ministre, Mabrouk Korchid, les services qui relèvent de sa compétence ont intenté pas moins de 188 actions en justice à l'encontre d'associations non conformes à la législation en vigueur. La suspension provisoire a été demandée contre 102 associations et la dissolution définitive contre 86 autres. Jusqu'à fin novembre 2017, la justice a prononcé 51 suspensions (17 demandes rejetées et 34 en cours de jugement) et 18 dissolutions (37 demandes rejetées et 31 en cours de jugement). Toutes ces « affaires » prouvent que l'unanimité affichée dans la guerre contre la corruption est de façade.