Faut-il qu'elles soient folles nos Aïchas nationales, Aïcha Filali et Aïcha Gorgi ? L'une pour ce qu'elle crée cette fois-ci, et l'autre pour lui offrir ses cimaises. A-t-on idée, mais a-t-on vraiment idée d'exposer dans une des galeries les plus réputées de la ville, au nom d'une artiste internationalement reconnue, dont les expositions sont attendues fébrilement par les collectionneurs, un ensemble... de serpillières. Oui, bonnes gens, oui, collectionneurs inconditionnels, oui, critiques d'art, généralement dithyrambiques, des serpillières, des «khichas» pour parler arabe. Celles-là mêmes sur lesquelles vous vous essuyez les pieds pleins de boue, celles-là mêmes qui vous servent de pire insulte qui soit, pire que carpette et paillasson. Et cerise sur le gâteau, elles ont l'outrecuidance d'intituler l'exposition : «Parterre(s)». Alors, on nous dira, se faisant l'avocat du diable, qu'il y a bien eu le bidet de Duchamp. Autre temps, autre époque, autre combat. On nous dira qu'il est temps de désacraliser l'art, de le rendre au trivial du quotidien. Notre quotidien est-il réellement tombé si bas ? On nous dira que cette diablesse de Aïcha Filali est toujours là où on l'attend le moins et qu'elle a toujours su nous surprendre. «On aurait su, on n'aurait pas venu». Que dit d'elle Adnen Jdey qui offre un petit éloge de la serpillière en guise de préface ? «Qu'on se le dise : pas plus que les néophytes, les habitués ne sont jamais assez intelligents au contact des œuvres de Aïcha Filali. Tantôt elle rêve de tout niveler, de penser les codes visuels comme des variantes du social. Tantôt elle préfère touiller les formes et les signes plutôt que les abolir. Alors, elle réhabilite comme d'autres rembobinent à cœur joie». Nous ne sommes certainement pas assez intelligents pour comprendre le but dernier de l'artiste, les deux Aïchas ayant gardé jalousement secret le thème et le sujet du travail en cours, mais nous avons assez d'humour pour en rire, pour admirer l'insolence de cette provocation, la dérision de ce geste, «l'hygiène jubilatoire du regard». Avec tout de même une question bassement terre à terre : combien en a-t-elle vendu ?