Par Raouf SEDDIK L'élection aux Etats-Unis de Donald Trump et l'effondrement militaire du groupe Etat islamique ont créé sur le terrain, dans le monde mais en particulier au Proche-Orient, les éléments d'un vaste changement qui s'est déroulé devant nos yeux et dont la suite attend encore... Les rétrospectives sont un exercice toujours assez risqué : on est presque sûr de laisser de côté des événements qui mériteraient au contraire d'être rappelés. Mais elles sont nécessaires pour que les voyageurs que nous sommes sur la voie de l'histoire universelle fassent un moment une halte et, au moment d'attaquer une nouvelle étape, se retournent sur le chemin parcouru durant le tour complet d'une année : cela aide à mieux fixer le cap pour l'avenir. S'il fallait retenir deux faits marquants de cette année écoulée, il faudrait citer l'arrivée au pouvoir de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier dernier et l'effondrement militaire du groupe Etat islamique dans la zone sur laquelle il avait proclamé son califat en juin 2014. A eux seuls, ces deux faits majeurs ont induit des évolutions importantes sur la scène internationale, dont le retour au premier plan de la question de la paix au Proche-Orient, le durcissement d'un antagonisme sunnites-chiites dans cette même région, la question du droit à l'autodétermination des minorités à laquelle, à partir de la revendication des Kurdes, a fait écho celle des Catalans en Espagne et d'autres encore, ailleurs dans le monde... Et puis, à la question de la difficile paix en Syrie s'est jointe celle d'un nouveau projet politique au Liban, qui réaffirme l'unité du pays et l'autorité de l'Etat, dans l'affirmation de la diversité de la société... Enfin, nous avons assisté au cours de cette année à l'apparition d'une nouvelle forme de terrorisme, moins organisée, plus imprévisible, mais animée de la même rage contre le droit de l'autre à exister dans sa différence. L'attentat particulièrement meurtrier qui a frappé au Sinaï, le 25 novembre dernier, la ville de Bir el-Abd, en est une illustration éloquente. De l'alliance arabo-sunnite à la crise du Golfe Rappelons par ailleurs que le nouveau président américain, en grande partie par le fait de son style verbal, a créé avec la Corée du Nord de Kim Jong-Un les conditions d'une nouvelle course à l'armement et à la nucléarisation de la défense. Cette même agressivité s'est exprimée à l'égard de l'Iran, allant jusqu'à récuser l'accord nucléaire signé l'été 2015 avec les 5 pays membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, après quelque douze années de négociations laborieuses. Sans cette même animosité très marquée contre l'Iran, qui rejoignait les fortes suspicions israéliennes contre le « régime des mollahs », on n'aurait pas assisté à ce sommet islamo-américain de Riyad, les 20 et 21 mai, qui a consacré la fracture du camp sunnite et du camp chiite. Ou en tout cas à la mise en place d'une coalition arabe contre l'Iran qui, elle-même, va donner lieu à une « crise du Golfe » lorsque le Qatar va laisser apparaître son peu d'empressement à entrer dans une relation d'hostilité à l'égard des Iraniens. On aura noté que l'engagement de l'Iran dans la lutte contre le groupe Etat islamique en Irak à travers son soutien aux milices chiites du Hachd echaabi et, en Syrie, à travers son double soutien au régime d'Assad et au Hezbollah, qui s'est également impliqué dans la lutte, cela ne l'a pas épargné de l'accusation de nourrir secrètement le terrorisme. Il est vrai que l'Iran a une politique d'affaiblissement de certains Etats sunnites du Golfe, et en particulier du régime saoudien, qui passe par le soutien à des mouvements rebelles. Son soutien traditionnel au Hamas au détriment du Fath, dans le dossier palestinien, est un autre aspect de cette politique. Trump : un plan de paix ? Mais l'hostilité américaine à l'égard de l'Iran se justifie aussi par une volonté délibérée de la nouvelle administration de se rapprocher d'Israël : le nouveau président l'avait annoncé clairement dès sa campagne électorale. Entre le départ d'Obama et l'arrivée de Trump, il y a un virage très clair dans la façon de gérer « l'amitié » avec l'allié israélien. C'est cela qui explique la décision, annoncée le 6 décembre dernier, de déplacer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (Al-Qods). Une décision qui a entraîné une vaste mobilisation du refus, aussi bien au niveau du monde arabe et du monde islamique qu'au niveau de la communauté internationale. Rappelons la réunion historique de l'Assemblée générale des Nations unies, le 21 décembre, qui a voté à une écrasante majorité contre la décision américaine : 128 contre 7, et 35 abstentions. Ce scrutin faisait lui-même suite à un autre vote, au niveau du Conseil de sécurité, où les Etats-Unis se sont retrouvés complètement isolés, et où ils ont pu cependant bloquer la condamnation en faisant usage de leur droit de veto. Mais, de façon paradoxale, force est de constater que Donald Trump a un plan de paix. Ce n'est pas seulement ce qui se dit dans son entourage : c'est aussi une activité diplomatique intense menée par deux figures particulières de son entourage — Jason Greenblatt et, surtout, le conseiller et gendre de Trump en personne, Jared Kushner — depuis de nombreux mois et c'est encore ce que le président américain a réaffirmé dans le contexte de la tempête provoquée par l'annonce de sa décision : il dévoilera les détails de ce plan, a-t-il souligné, durant la première moitié de cette nouvelle année. Le scepticisme est bien sûr plus que jamais de rigueur, mais on note que le rapprochement entre les deux composantes de la lutte palestinienne, le Fatah et le Hamas, crée les conditions d'une nouvelle négociation avec le vis-à-vis israélien. Espoirs de paix en Syrie Ce qui a changé aussi, c'est le contexte régional. L'effondrement du pouvoir militaire des organisations terroristes en Syrie et en Irak, d'une part, l'isolement du camp chiite par les pays sunnites dans le cadre de l'alliance proclamée à Riyad, cela fait que le camp d'un certain radicalisme anti-israélien n'a plus les cartes en main et laisse le champ relativement libre pour le jeu de la négociation autour d'une gestion partagée des terres, et avant tout de la Ville sainte, en laquelle se mêlent de façon si proche des traditions différentes. Mais on ne saurait clore ce bilan de l'année 2017 sans évoquer l'élection de l'autre côté de la Méditerranée d'un jeune et dynamique président qui ambitionne de réformer l'Europe, qui œuvre à nouer des liens renouvelés avec les pays anciennement colonisés par la France en Afrique et au Maghreb et qui pousse le monde dans le sens d'un pacte au profit de la préservation du climat. Ni les espoirs d'une nouvelle paix en Syrie, qui la réconcilierait avec le Liban et sa propre diversité culturelle et religieuse... Ni, hélas, avec les deux grands drames humanitaires qui ont marqué cette année 2017, celui des Yéménites en raison de la guerre et celui des Rohingyas, en Birmanie et au Bangladesh où beaucoup se sont réfugiés suite aux exactions des militaires birmans et à une politique discriminatoire indigne.