Les familles victimes vivent un sentiment de honte qui fait grande place à l'omertà «Les agresseurs sont des récidivistes. Ce sont des personnes malades qui reviennent à la charge. Les agressions sexuelles sur les enfants augmentent inévitablement », s'insurge M.Moëz Cherif, président de l'Association de protection des droits des enfants. Il y a quelques jours, l'annonce du viol d'un enfant de trois ans à Oued Ellil (La Manouba) a suscité l'émoi. Parmi les suspects, il y aurait un adulte, mais l'enquête serait en cours d'instruction. Assimilé à un acte pédophile qui dénote une attirance ou préférence sexuelle d'un adulte envers les enfants prépubères ou en début de puberté, l'affaire fait grand bruit et se répand comme une traînée de poudre. Car que ce soit une agression sexuelle ou un acte pédophile, l'enfance est en danger, exposée et menacée. Elle doit être protégée des abus et sévices sexuels et mieux défendue par la loi. La Presse a contacté M.Moëz Cherif pour décrire le phénomène des agressions sexuelles sur les mineurs, qui n'est pas spécifique à la Tunisie, sa tendance et les solutions à apporter en matière juridique dans cette phase transitionnelle que vit le pays à tous les niveaux. Recrudescence des sévices sexuels M.Cherif donne les raisons de l'augmentation des agressions sexuelles faites aux enfants et mineurs. «On constate une augmentation des agressions sexuelles perpétrées sur les enfants. Cette année, 70% des dossiers médicaux pour agressions sexuelles, sexe et âge confondus, concernent des enfants. Ce sont souvent des nourrissons qui sont agressés dans les jardins d'enfants, crèches et dans le milieu familial. » Les cas d'agressions sexuelles de petits garçons sont très nombreux. Il poursuit : «Il y a une prédominance de garçons agressés par rapport aux petites filles avant l'âge de douze ans, soit la puberté. Inversement, après l'âge de douze ans, ce sont les filles qui sont davantage victimes d'agressions sexuelles. » Il explique que la recrudescence des actes d'agressions est due au relâchement de tous les mécanismes de protection de l'enfant dans cette période transitionnelle que vit le pays. «Il y a beaucoup moins de contrôle et d'inspection dus au laxisme et au sentiment d'impunité ressenti par ceux qui veulent appliquer la loi et sévir», note le président de l'Association de protection des droits des enfants qui explique que, dans seulement 1% des cas, l'agresseur se trouve condamné. «Il n'y a pas de condamnation parce qu'il n'y a pas de preuves objectives et tangibles contre l'agresseur». En outre, le taux d'agressions et de harcèlements sexuels en milieu scolaire est de 2,6%. Un taux qu'il juge impressionnant, voire énorme quand on recense deux millions d'élèves en Tunisie. De son côté, Mehiar Hamadi, délégué général de la protection de l'enfance, a signalé, dans une déclaration sur une radio privée, la hausse des cas d'agressions sexuelles sur les mineurs, enregistrés par les délégations régionales de la protection de l'enfance. «Entre 2010 et 2011, on comptabilisait 152 agressions, alors qu'en 2016, il y en a eu 500 ». Les agressions sexuelles sur mineurs en Tunisie ne cessent de défrayer la chronique. Malgré tout, la dénonciation connaît un temps extrêmement long en Tunisie, ce qui n'est pas pour servir les intérêts des enfants, exposés aux violences en tous genres, a observé Moëz Cherif. L'agression passée sous silence à cause du poids de la société En Tunisie, on a un grand problème lié au retard de la déclaration de l'agression de quelques jours, mois, voire des années à cause d'un problème d'éducation et de tabou. Le problème lié aux retards est d'autant plus grand, quand on sait qu'au bout de quelques heures, les traces biologiques de l'agression disparaissent. Pour autant, tous les cas d'agressions sexuelles, sans exception, passent par le suivi des médecins légistes. C'est une source sûre de confirmation de l'agression. Les spécialistes, médecins légistes, psychologues et pédopsychiatres sont capables de dire s'il y a agression sexuelle ou pas. Malheureusement, les expertises médicales ne sont pas prises en considération dans la décision de condamnation du présumé accusé. Les solutions préconisées consistent à améliorer les mécanismes de protection au moyen d'un numéro vert prévu dans le code de protection de l'enfant pour le signalement et la dénonciation d'actes relatifs aux agressions sexuelles. Mais ce service n'est pas fonctionnel car la voix de l'enfant n'est pas entendue. Ce qui le lèse au plus haut point. Une pédopsychiatre a raconté une anecdote il y a quelques années sur les habitudes et les modes de vie des Tunisiens, notamment parmi la souche la plus pauvre. Ils créent un environnement favorable aux abus sexuels en tous genres. «Au moment de dormir, ils allongent les enfants serrés les uns contre les autres sur des matelas, à même le sol. Parfois cela dérape. On relève alors des attouchements, harcèlements, voire des agressions sexuelles. Dans une société conservatrice, les gens ont du mal à parler de ce type d'agression. Il faudrait entreprendre des campagnes de sensibilisation très larges car l'enfant agressé peut devenir plus tard un agresseur invétéré». M.Cherif termine dans le même sens : «En cas d'agression sexuelle avérée, les familles préfèrent taire ce qui est arrivé pour préserver leur honneur. Il y a des cas de jeunes filles qui ont été agressées et les familles ont refusé de porter plainte».