Nommée à la tête de l'Office national de la famille et de la population il y a trois mois, le Dr Rafla Tej nous a accordé une interview pour parler des grandes lignes directrices de l'office. Commençons tout d'abord par faire le point sur les récentes déclarations des anciens cadres de l'Onfp, signalant que la planification familiale est en «danger». Comment évaluez-vous ces allégations ? A vrai dire, je comprends cette détresse. Il y a un sentiment d'appartenance qui est omniprésent et que j'ai constaté ici, chez les actifs. Ils s'inquiètent sur l'avenir du planning familial et ne cessent de se poser la question sur son futur. J'ai, également, constaté cette inquiétude et cette perplexité chez des anciens cadres d'autres directions au sein du ministère de la santé. Et c'est tout à fait légitime, vu le bouleversement qu'on est en train de vivre, l'ébranlement qui a marqué le pays mais aussi la discontinuité au niveau des politiques de l'Etat traduite par une redéfinition de ses priorités. Mais dire que la planification familiale est en «danger» est insensé. Tout d'abord, la planification familiale est tout un programme qui a été élaboré depuis 1962 dont les objectifs ont été atteints. Maintenant, on parle plutôt des soins de la santé de la reproduction et de l'accès aux services de la santé de la reproduction. Au départ, la stratégie nationale de planification familiale a été mise en place juste après l'Independance pour faire face aux enjeux sociaux et économiques du pays, notamment en réduisant le nombre des enfants. A partir de 1994, après la tenue de la conférence du Caire, l'on parle plutôt de la santé de la reproduction qui comprend, à son tour, plusieurs composantes. A savoir, l'accès aux soins de la santé reproductive, l'espacement des naissances, la composante périnatalité, le certificat prénuptial, l'accouchement en milieu assisté, les risques des maladies sexuellement transmissibles, la prévention des cancers, l'éducation sexuelle pour les jeunes, les troubles de la fertilité et les troubles de la ménopause. Mais le recensement de la population de l'année 2014 a dévoilé une augmentation relativement élevée au niveau des taux de natalité et de l'indice synthétique de fécondité qui est passé à 2.4. Tout d'abord, il faut dire que ces taux sont des estimations approximatives. Quant à l'indice de fécondité, il ne dépend pas uniquement des services fournis par l'Onfp. Je vous rappelle que les soins de la santé de la reproduction offerts par l'Office sont également fournis par d'autres directions relevant du ministère de la santé, notamment celle de la santé de base. Cet indice dépend d'une part de la disponibilité de ces soins et, d'autre part, de déterminants sociaux et culturels omniprésents. Il se peut que, durant ces 8 années après la révolution, de nouvelles attitudes ou des comportements favorisant de nouvelles tendances sur le plan espacement des naissances sont apparus, mais il n'y a jamais eu une volonté de la part de l'Office de réduire l'accès aux services de la santé de la reproduction. D'ailleurs, en guise de mobilisation, l'Office a organisé des rencontres et des débats avec les professionnels de la santé, pour les sensibiliser et les former à l'impératif du respect du travail qu'ils devaient accomplir en toute objectivité, sans la moindre interférence avec les croyances personnelles. Mais, il faut quand même rassurer que l'indice de fécondité estimatif n'est point alarmant. Et l'approche de l'Onfp dans les soins de la santé de la reproduction n'a pas changé. Par ailleurs, la Tunisie a toujours des problèmes de mortalité maternelle et néonatale. De ce fait, les services de la santé reproductive dans les diverses directions et institutions relevant du ministère de la Santé n'ont en aucune façon affiché une volonté de dissoudre ou reléguer au second plan la priorité des soins de la santé de la reproduction. Au contraire, on est en train de repositionner et de réajuster les objectifs, les services et les soins par rapport à la donne démographique et sociale actuelle. Les données et les chiffres montrent, désormais, une disparité dans les indices démographiques de natalité, non seulement entre les régions, mais aussi entre les catégories sociales. Est-ce que l'Onfp travaille de manière ciblée, pour réduire ces disparités ? Nous ne travaillons plus sur la disponibilité des services et des soins de la santé de la reproduction, mais plutôt sur les barrières qui sont à l'origine de ces inégalités. Trente ans en arrière, l'Onfp a employé plus de 300 éducatrices ou animatrices qui se déplacent à travers la Tunisie notamment dans les zones non communales enclavées pour sensibiliser les femmes aux bienfaits sanitaires de l'espacement des naissances. Actuellement, on travaille d'une manière différente. Nous procédons en consulting, en expliquant aux femmes et aux jeunes les différents moyens de contraception, pour se décider et faire le choix du moyen contraceptif. C'est à nous de mettre à jour notre façon de communiquer en milieu rural, pour relever les nouveaux défis. Actuellement, on est appelé à adapter et réajuster la formation des éducatrices aux nouveaux enjeux de la santé reproductive pour qu'elles puissent faire face aux nouveaux défis de la santé de la reproduction tels que la prévention contre les MST, les troubles sexuels et les troubles de fertilité. Donc l'Onfp veut asseoir ses objectifs à la nouvelle société. Quelle stratégie a-t-elle adoptée ? La stratégie quinquennale 2016-2020 s'articule autour de plusieurs axes. Essentiellement l'accès équitable aux divers services de la santé de la reproduction. Un travail sur le dépistage et la lutte contre le cancer touchant les femmes à travers la lutte contre les facteurs de risque se taille une grande part des efforts déployés par l'office. Aussi, l'éducation sexuelle auprès des jeunes via les espaces jeunes figure parmi les priorités de l'office. La Tunisie compte actuellement un total de 22 espaces. Nous avons décidé de procéder à une évaluation de ces espaces suite à une réticence observée de la part des jeunes à les fréquenter. Nous allons réajuster et réaménager ces espaces-là de façon à répondre aux besoins et aux aspirations des jeunes et en renforçant les liens entre ces organismes et les institutions scolaires, universitaires et civiles. L'Onfp travaille-t-il à réduire les problèmes des accouchements dans les zones rurales enclavées ? Tout d'abord, il faut dire que le taux des accouchements en milieu non assisté n'est pas considérable. Et il ne dépend pas uniquement des institutions sanitaires. Il dépend aussi de l'infrastructure qui existe. Nous, en tant qu'institution sanitaire, on essaye d'y remédier à travers des équipes mobiles, mais c'est un problème de développement et d'infrastructure en premier lieu. L'accouchement en milieu assisté est désormais considéré comme un indicateur de développement. Les étrangers peuvent-ils bénéficier de tous ces services de la santé de la reproduction au même titre que les Tunisiens ? Tout d'abord, il y a tout un programme élaboré conjointement avec la médecine scolaire et universitaire pour les étrangers non résidents qui viennent étudier en Tunisie. Peut-être que vous ne le savez pas, mais les étrangers peuvent bénéficier d'une prise en charge complète dans le cas d'une contamination par le virus du sida. En outre, il n'y a aucune restriction quant aux services et soins de la santé de la reproduction. Tout le monde peut y avoir accès. Il suffit de fournir une pièce d'identité (la carte d'identité pour les Tunisiens, le passeport pour les étrangers), et tout est disponible gratuitement.