Conduite par M.M. Taoufik Baccar, directeur général du Centre international Hédi-Nouira de perspectives et d'études pour le développement et ex-gouverneur de la Banque centrale, et Sophien Ben Naceur, expert international en matière de gestion des crises financières, une équipe vient d'élaborer, dans le cadre des activités du centre, un programme de redressement économique pour les années 2018-2019. Au moment même où l'économie nationale connaît ses pires moments, avec la majorité des voyants au rouge, certains de nos décideurs sont encore préoccupés par la politique politicienne et surtout leur éternel conflit d'intérêt personnel, sur fond de démission économique Et c'est certainement cette indifférence pénalisante qui a amené une équipe d'économistes et de financiers (dont d'anciens hauts responsables politiques) à lancer un cri d'alarme et surtout réagir en conséquence. Justement, selon des sources sûres, cette équipe, conduite par M.M. Taoufik Baccar, directeur général du Centre international Hédi-Nouira de perspectives et d'études pour le développement et ex-gouverneur de la Banque centrale, et Sophien Ben Naceur, expert international en matière de gestion des crises financières, vient d'élaborer, dans le cadre des activités du centre, un programme de redressement économique pour les années 2018-2019. Ce programme, qui vient d'être remis au chef de l'Etat, intervient en quelque sorte comme un plan Marshall pour l'étape actuelle et future. Il dresse un bilan détaillé de notre économie, relève ses nouvelles exigences et ses enjeux d'avenir et surtout trace les contours d'une relance sûre et progressive. Ce qui donne plus de profondeur à ce document, c'est qu'il a réussi à identifier deux vitesses indispensables à la bonne conduite des actions retenues : l'une pour les urgences, comprendre l'actuel et, l'autre, pour l'essentiel, c'est-à-dire le stratégique. M. Baccar affirme dans le rapport que ce travail spontané et volontaire a été dicté par le souci d'aider le pays, sans compromis et sans calcul, à surmonter ses difficultés actuelles, surtout qu'elles ne cessent de prendre, à chaque fois, des dimensions beaucoup plus graves. Cela est d'autant plus important que l'économie nationale a besoin de retrouver rapidement ses repères et surtout une meilleure visibilité au double niveau national et international. Il faut donc «du sang neuf, de nouvelles compétences et de nouvelles idées pour sortir de la crise», ce que propose, en profondeur, le nouveau document. Des indicateurs à risque Ce qui donne plus de crédibilité au programme, c'est qu'il part d'un constat réel et repose sur des indicateurs précis. En effet, le rapport précise que la conjoncture nationale n'a cessé, depuis 2011, de s'enliser dans les difficultés, multipliant, d'une année à l'autre, des contre-performances à haut risque. Le document relève, en effet, que «le contexte politique reste dominé par l'incertitude, l'instabilité et le sentiment que les choix politiques consacrés par la nouvelle Constitution sont de plus en plus répandus. L'action partisane est aujourd'hui décriée par la majorité des Tunisiens, jugeant que les partis n'ont pas pu donner au pays un projet viable et initier les programmes nécessaires à cette étape cruciale, ni mobiliser les compétences et les potentialités du pays en vue de réaliser les ambitions fixées depuis 2011». Pour ce qui est de l'économique, il a été marqué, tout au long de la période précédente, par «la marginalisation de cette dimension économique dans le référentiel juridique du pays et dans le comportement des différents acteurs, l'absence de projets porteurs, le manque de cohérence dans les programmes et les décisions économiques, la complexité du processus décisionnel et le recours au compromis, même lorsque celui-ci n'est pas objectivement possible». Sans parler, bien entendu, affirme le rapport, de «la faible connaissance de la réalité économique et des outils de l'action économique (politique du "go and stop", relance par la demande intérieure et augmentation sans précédent des dépenses publiques) et le faible intérêt accordé aux facteurs exportation et investissement et, enfin et surtout, l'adoption de mesures en matière de finances publiques qui dépassent les capacités réelles du pays et sans impact positif sur la croissance». Autant de facteurs négatifs qui se sont traduits au concret par des indicateurs alarmants. Et c'est plutôt l'impasse. On relève ainsi une croissance économique qui a chuté de 3,5% en 2010 à 1,9% en 2017, un déficit budgétaire du PIB de 6,1%, alors qu'il était de 1,1% seulement, une évolution inquiétante de la dette publique dont le taux a grimpé de 41 à 70% entre 2010 et 2017. On assiste également à un dérapage inquiétant des dépenses publiques, dont la part dans le PIB a progressé de 28,5% en 2010 à 35% en 2017, alors que le seuil de 30% est considéré comme une ligne rouge, une dépréciation alarmante du dinar qui se situe désormais à des niveaux inédits, à une aggravation sans précédent du taux d'inflation qui est désormais de 7,6% et qui risque, d'ici peu, de se situer aux alentours de 10%, une moyenne lourde de conséquences, et l'évolution spectaculaire de la masse salariale au niveau de la fonction publique qui s'est située en 2017 à 13.7 milliards de dinars contre 6.4 en 2010. Gouvernance et réhabilitation de la dimension économique Il reste que malgré un tableau sombre, les auteurs du document restent optimistes. Pour eux, et malgré une conjoncture difficile, la Tunisie dispose encore de certains atouts qu'elle peut mettre à profit pour redresser la situation au triple niveau économique, financier et social. Un tel redressement devrait tenir compte toutefois de l'amélioration du niveau de gestion, la garantie d'une bonne planification des programmes et l'option pour la compétence et la qualification au niveau de la gouvernance. Un tel redressement repose aussi sur l'engagement d'un ensemble de dispositions stratégiques et prioritaires. On pense à la réhabilitation de la dimension économique à travers la création d'une structure de concertation et la redéfinition de la mission de la BCT et son mode de gouvernance, le rééquilibrage du modèle de développement en le basant sur les trois sources de croissance : exportation, investissement et consommation, le renforcement des exportations et l'amélioration des flux devises à travers la réactivation du mécanisme de compensation industrielle et son application aussi aux franchises étrangères de nature commerciale, l'atténuation des pressions sur le dinar et faciliter la sortie à l'international en adoptant surtout le principe de l'encadrement du taux de change par la mise en place d'un tunnel de fluctuation du dinar. En plus de ses dispositions stratégiques, le document retient certaines urgences. Il s‘agit surtout de la garantie d'une meilleure efficacité au niveau de notre système de sécurité sociale, en misant sur le report de l'âge de départ à la retraite, du réexamen du système de péréquation des pensions dans le secteur public et l'adoption du principe de revalorisation des pensions selon la hausse des prix et l'introduction progressive d'une dose de capitalisation pour les hauts salaires. Il s'agit aussi de la résolution de la question des entreprises publiques par la création d'un fonds de restructuration, l'introduction du mécanisme de l'IPP et progressivement les nouveaux modes de gestion et l'accélération de la cession des entreprises qui ont fait l'objet d'expropriation. Parallèlement à toutes ces questions, le rapport donne toute son importance à l'amélioration de l'efficacité et la rentabilité de notre système fiscal à travers la mise en place d'une politique de gestion moderne et conforme aux normes internationales. Il est donc clair que ce programme de redressement proposé pour les années 2018 et 2019 pourrait constituer, en lui-même, une nouvelle feuille de route rassurante pour une transition économique certaine.