La réforme des caisses sociales ne cesse de faire couler beaucoup d'encre et enfler les débats en raison des déficits abyssaux qu'elles accusent depuis la révolution et l'effet domino causé par cette crise. La Cnam et la Pharmacie centrale de Tunisie sont touchées de plein fouet. Pire : les pensions des retraités donnent à la fin de chaque mois du fil à retordre au gouvernement. Le président du gouvernement a tiré à maintes reprises la sonnette d'alarme, mais c'est toujours le statu quo qui prévaut à ce niveau. C'est que les réformes de la sécurité sociale partout dans le monde sont impopulaires et notre pays n'échappe pas à cette règle, nous confie Hafedh Laâmouri, ancien ministre de la Formation professionnelle et ancien président-directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale. Plaider pour un système de financement mixte «Cette réforme est la plus urgente en Tunisie. Chaque mois de retard augmentera le poids du sacrifice et les solutions seront plus difficiles à accepter par la société en raison du cumul du déficit et nous risquerons de ne plus parler de réforme, mais de sauvetage de notre système de sécurité sociale avec des mesures d'urgence et des sacrifices plus douloureux», souligne-t-il. Et d'ajouter qu'il faudrait accepter des sacrifices, à condition qu'ils soient équitables entre les différentes catégories socio-professionnelles et les générations, en évitant qu'une seule catégorie ou une seule génération supporte ce fardeau. La réforme ne peut être réalisée que dans le cadre du contrat social (son élargissement à l'Union de l'agriculture et de la pêche est bénéfique au consensus) entre les partenaires sociaux en étudiant toutes les solutions possibles sans lignes rouges ni tabous , fait-il encore observer. Parmi les solutions préconisées selon Hafedh Laâmouri, la diversification des sources de financement qui sont depuis l'Indépendance limitées au financement professionnel basé sur les cotisations employeur/employé. Hormis la Tunisie, nombreux sont les pays qui ont abandonné cette conception devenue incapable d'assurer l'équilibre financier et ont opté pour le système de financement mixte : cotisations professionnelles, fiscales et parafiscales, d'où la nécessité d'introduire une dose de fiscalisation et de parafiscalisation au financement de la sécurité sociale, augmenter la cotisation dans le secteur public, œuvrer pour la réduction du chômage, et reporter l'âge de la retraite à 65 ans . Outre ces mesures, il appelle à la création d'une assurance-chômage qui devrait supporter les droits des salariés licenciés pour des raisons économiques, l'unification des techniques de revalorisation des pensions, la conception d'un régime spécial de sécurité sociale aux travailleurs du secteur informel, ainsi que la réflexion sur la possibilité d'introduction d'une dose de financement par capitalisation et l'encouragement des investissements, afin de créer de l'emploi décent et, par conséquent, améliorer le rapport démographique et les recettes de la Cnss et de la Cnam. Bonne gouvernance et transparence Contrairement à la Cnrps dans le secteur public, la Cnss souffre des sous-déclarations des salariés et des salaires. Les créances des entreprises du secteur non agricole représentent plus de la moitié des dettes cumulées. Alors que certaines de ces entreprises souffrent de difficultés réelles de paiement des cotisations, d'autres ont réussi à échapper à cette obligation légale. Afin d'instituer une bonne gouvernance, il est recommandé également de renforcer le contrôle et le recouvrement dont le taux est faible (Cnss) pour certains régimes (les régimes des non-salariés non agricoles et agricoles), de moderniser le système d'information entre les trois caisses et de développer les modes de gestion, estime Hafedh Laâmouri. La bonne gouvernance de la réforme est la seule garantie de sa pérennité, il est ainsi nécessaire d'instituer un organisme à l'instar d'un conseil supérieur de financement de la sécurité sociale ou un observatoire de la sécurité sociale qui veillerait à l'évolution des différents paramètres d'équilibre financier des caisses en proposant leur ajustement à temps afin de préserver cet équilibre à moyen et à long terme. C'est tout le système de la sécurité sociale qui risque de s'écrouler si les réformes ne sont pas mises en œuvre d'ici début 2019, s'inquiète l'ancien ministre.