Par Soufiane Ben Farhat Grand branle-bas dans le monde médiatique universel, plus spécialement anglo-saxon. Le 22 octobre, le site spécialisé dans la publication de documents confidentiels WikiLeaks a divulgué 391.832 documents de l'armée américaine sur la guerre en Irak. Il s'agit assurément de la plus grosse fuite d'informations de tous les temps. Mais elle n'a pas accouché de la plus grande vérité en fait. Aux dires de la presse américaine, ces fuites de documents militaires révèlent la formidable étendue des mensonges, de la désinformation et des abus liés à la guerre d'Irak. Selon Foreign Policy in Focus, "le peuple américain connaissait déjà les mensonges utilisés pour justifier l'invasion de ce pays. Nous savons désormais que les mensonges se sont poursuivis pendant la guerre, surtout au sujet du traitement des prisonniers et de la situation d'ensemble en Irak. Par exemple, le gouvernement Bush nous a systématiquement affirmé que l'armée ne tenait pas le compte des pertes irakiennes, tant civiles que militaires. Les documents divulgués par WikiLeaks démentent cette affirmation. A maintes reprises, le Président Bush a nié avoir connaissance de ces chiffres — pourtant, ils étaient disponibles. Aujourd'hui, le Pentagone ne prend même pas la peine de contester le nombre de personnes tuées 2004 et 2009 révélé par WikiLeaks, un total de 109.000, dont 65.000 civils. L'assassinat arbitraire de près d'un millier de civils irakiens à des postes de contrôle, le fait que nous ayons confié nos prisonniers irakiens aux forces de sécurité du pays tout en sachant qu'ils seraient torturés et violés, tout cela est désormais à porter au bilan de la nation. Il est troublant de constater que les autorités américaines semblent avoir approuvé le règne de violence sans frein imposé par les sociétés privées travaillant pour le Pentagone. La dissimulation des morts de civils, d'enfants, l'ignorance affichée quant aux tortures commises à la prison d'Abou Ghraïb sont autant de souillures portées aux valeurs américaines que nous nous targuons de défendre". Soit, un mea culpa d'apparence on ne peut plus noble. Seulement, on est en droit de s'interroger légitimement sur ce que lesdits 391.832 documents ont apporté de nouveau. En fait, rien de ce qu'on savait déjà. Pis, bien en deçà de ce que les médias du monde entier ont déjà mis en évidence. Un seul exemple suffit. Aux dires des fuites de WikiLeaks, 109.000 Irakiens, dont 65.000 civils auraient été tués entre 2004 et 2009. Or, en 2008, l'Irak Body Count (IBC) et l'Opinion Research Business (ORB) basés à Londres affirmaient, décomptes exhaustifs et minutieux à l'appui, que plus d'un million d'Irakiens avaient déjà été tués dans des violences en Irak depuis l'invasion du pays par les troupes américaines et alliées en 2003. Aux termes de ces enquêtes, un cinquième des ménages irakiens avaient perdu au moins un membre de leur famille entre mars 2003 et août 2007. "Nous estimons à présent que le nombre de morts entre mars 2003 et août 2007 est susceptible d'être de l'ordre de 1.033.000", indique ORB. La marge d'erreur pour cette étude était de 1,7%, ce qui donnait une fourchette de décès entre 946.000 et 1,12 million. Les décomptes et comparaisons macabres sont on ne peut plus rébarbatifs. Mais que l'establishment américain se cabre pour la divulgation de "fuites" qui le disculpent de fait, c'est franchement déplacé. Le plus gros mensonge serait d'accroire que l'Amérique se réveille soudain avec un sursaut de conscience sur fond de philanthropie à l'endroit des Irakiens. Tout le monde savait. L'establishment, les médias, l'opinion, les alliés, tous savaient. Et tous taisaient l'encombrant secret de famille. Rien ne sert de tenter de jouer la diversion. Encore une fois. C'est, au moins, une manière de noyer le poisson et, de fait, un blanchiment de crimes de guerre et de cadavres, une tentative de dissoudre les morts.