L'idée n'est certes pas nouvelle, mais l'interview télévisée du président de la République, Béji Caïd Essebsi, en début de semaine, a remis la question au centre du débat : faut-il ou non amender la Constitution et apporter des modifications au régime politique actuel ? Ceux qui s'y opposent avancent l'argument selon lequel plusieurs chapitres de la Constitution ne sont pas entrés en vigueur et certaines institutions de la plus haute importance n'ont pas encore vu le jour. D'autres dénoncent l'état de fragilité et de paralysie qui frappe le gouvernement et le président de la République En sous-marin, c'est l'idée d'un renforcement des prérogatives du président de la République qui refait surface. Depuis longtemps, nous savons que le président de la République n'est pas du tout content de la répartition du pouvoir entre les deux têtes de l'exécutif, dictée par la Constitution de 2014. Une Constitution qui réduit de manière drastique le champ d'intervention du président de la République. Ainsi, le régime politique actuel confère au président de la République principalement les questions de politique étrangère, tout en ayant la possibilité de présenter des projets de loi et d'autres prérogatives souvent partagées avec le chef du gouvernement. L'article 72 de la Constitution le réduit même à "un symbole de l'unité de l'Etat". Depuis plusieurs mois, Ridha Jenayah, docteur d'Etat en droit public, milite en faveur d'une transformation du système politique actuel pour qui ce dernier "ne peut donner qu'une majorité versatile et fragile". «Majorité fragile et versatile» Ridha Jenayah pointe du doigt un certain "déséquilibre des pouvoirs et un affaiblissement de l'exécutif". Selon lui, l'idée même d'une constitution repose sur la nécessité d'instaurer une stabilité du régime politique (quel qu'il soit). Que le régime soit présidentiel ou parlementaire, c'est cette symphonie entre les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif qui doit être harmonieuse. "Le choix d'un tel régime n'est pas neutre : il découle de la volonté délibérée du parti, alors majoritaire à l'ANC, d'empêcher que le gouvernement ne se transforme en «ogre gouvernemental» disposant de la majorité requise pour gouverner seul le pays. C'est ce système qui explique qu'à l'heure actuelle, le gouvernement, disposant d'une majorité fragile et versatile, n'a d'autre choix que de gouverner à coups de compromis et de compromissions", expliquait déjà Ridha Jenayah à La Presse en janvier dernier à l'occasion du quatrième anniversaire de l'adoption de la nouvelle Constitution. Cependant, ce professeur avisé tient à noter que la Constitution n'est pas la seule responsable de ce qui se passe actuellement, "tant il est vrai qu'un système constitutionnel ne vaut que par la vertu des hommes habilités à l'appliquer". C'est justement sur ce seul point uniquement que se rejoignent Ridha Jenayah et le rapporteur général de la Constitution de 2014, Habib Khedher, même si les deux hommes n'en viennent pas à la même conclusion. En effet, même Habib Khedher (parti Ennahdha) affirme ne pas être fermement et farouchement opposé à la révision de la Constitution, il tient, à chaque fois que l'occasion lui est donnée, à rappeler que la Constitution actuelle n'est pas encore entièrement entrée en vigueur, pour qu'on puisse envisager de la modifier. Il rappelle ainsi que plusieurs chapitres de la Constitution ne sont pas entrés en vigueur et certaines institutions de la plus haute importance n'ont pas encore vu le jour. "Jusqu'à aujourd'hui, nous appliquons encore des dispositions transitoires", fait-il remarquer. Lorsqu'on évoque l'inconfort provoqué par un système politique bicéphal, le rapporteur général de la Constitution soutient l'idée que contrairement à ce que des experts peuvent penser, la Constitution de 2014 est parfaitement harmonieuse. Selon lui, la problématique provient du fait que certains veulent empiéter sur les prérogatives des autres pouvoirs. "En ce qui concerne la recevabilité, celui qui veut évaluer, les choses sont claires. Pour la gestion des affaires courantes qui concernent directement le citoyen, c'est le gouvernement et les partis qui le composent qui doivent rendre des comptes ; sur la politique étrangère et la sécurité nationale, c'est le chef de l'Etat qui devra être évalué, et c'est à l'Assemblée des représentants du peuple que revient la charge de légiférer, de contrôler l'action du gouvernement", résume-t-il à La Presse. Revoir le mode de scrutin ? Outre la Constitution, c'est le mode de scrutin qui est également critiqué. En mars dernier, le collectif Soumoud, appuyé par d'éminents professeurs de droit, comme les constitutionnalistes Amine Mahfoudh et Sadok Belaïd, a appelé à la révision de la Constitution mais aussi, et plus urgemment, à celle du mode de scrutin. Pour Amine Mahfoudh, le pays reste ingouvernable lorsque le vote se fait par liste, à la proportionnelle et au plus fort reste. Un tel mode de scrutin donne naissance à un hémicycle arc en ciel. C'est peut-être joli, mais ce n'est pas toujours pratique pour prendre des décisions et faire voter des lois. Le doyen Sadok Belaïd avait alors proposé l'adoption d'un mode de scrutin uninominal à deux tours. Le vote se ferait alors sur les personnes et non sur les listes, et seuls les deux ou trois premiers candidats passeraient au second tour. D'autres experts comme Haykel Ben Mahfoudh proposent d'ajouter une dose de proportionnelle à l'idée défendue par Sadok Belaïd. Pour eux, ces deux options auraient le mérite à la fois de renforcer la majorité qui serait capable d'appliquer le programme pour lequel elle a été élue, mais aussi de donner plus de poids à un parti d'opposition, qui ne sera pas certes aux commandes, mais qui sera suffisamment représenté pour faire contrepoids à la majorité. Mais au lendemain de la révolution, le souci du législateur, et sous la pression des partis politiques, était de faire en sorte que le plus grand nombre de partis politiques soient représentés à l'hémicycle. Par ailleurs, la proportionnelle permet une meilleure représentativité des femmes et des jeunes. Le scrutin uninominal à deux tours risque quant à lui d'écarter, en même temps que les petits partis, une frange de la population. Toujours est-il que, comme le rappellent souvent les spécialistes et d'autres, y compris le président de la République, en l'absence d'une Cour constitutionnelle, il est légalement impossible de procéder actuellement à une révision des dispositions de la Constitution.