Une conférence de presse a été organisée hier à Tunis pour transmettre le point de vue des familles des victimes et leurs associations à l'opinion publique. Leur voix ne semble pas avoir été entendue lors du récent débat sur les procès des chambres spécialisées Le 18 octobre dernier s'est ouvert à la Chambre pénale spécialisée de Tunis le procès d'Anis Farhani, tombé sous les balles de la police le 13 janvier 2011, alors qu'il manifestait pacifiquement au moment de la révolution. Parmi les accusés figure le nom de l'ancien ministre de l'Intérieur sous Ben Ali, Ahmed Friaâ. N'ayant pas comparu devant la cour ce 18 octobre, l'homme a également été interdit de voyager. Depuis a été lancée une campagne contre l'IVD et sa présidente, notamment par le parti Machrou de Mohsen Marzouk. Dans les médias, on remet en question les principes sur lesquels sont érigés les procès des chambres spécialisées, comme l'irrecevabilité de la non-rétroactivité des lois, ou l'autorité de la chose jugée ou la prescription du délit ou de la peine. Parce que la polémique engagée sur les plateaux de télévision et les radios a exclu les victimes du débat, une conférence de presse a été organisée hier à Tunis par un ensemble d'associations de victimes et d'ONG nationales et internationales des droits humains afin qu'elles expriment leur point de vue par rapport à toutes ces questions. «Des procès fascistes et inéquitables ? Faux !» Présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Raoudha Karafi a démontré à quel point la désinformation avait sévi ces dernières semaines. «On a affirmé que les affaires qui se déroulaient devant les chambres spécialisées étaient inconstitutionnelles et ne répondaient pas aux garanties des procès équitables. On a prétendu que ce sont des procès fascistes ! C'est faux ! Puisque l'article 148 de la Constitution préconise qu'en matière de justice transitionnelle, «il n'est pas permis d'invoquer la non-rétroactivité des lois ou une amnistie préexistante ou l'autorité de la chose jugée ou la prescription d'un crime ou d'une peine». Elle ajoute : «D'autre part, ces principes existent dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations unies contre la torture, le Statut de Rome. Ces principes constituent des exceptions aux principes généraux sans lesquelles il serait impossible de rendre justice à des victimes ayant subi des préjudices il y a bien longtemps, comme au moment de la révolte du pain, ou des cas d'homicide volontaire remontant à 1987, tel le cas de Nabil Barakati». La magistrate a fait remarquer que tous ces détails juridiques n'ont pas été présentés dans les médias. «Et pourtant les chambres spécialisées sont une opportunité à ne pas rater pour la justice afin qu'elle en finisse avec la dictature et devienne la garante des droits et libertés des citoyens», assure-t-elle. Des plateaux déséquilibrés Lamia Farhani, avocate, présidente de l'Association Awfia (Fidèles) et sœur d'Anis Farhani a reçu la semaine passée une lettre de menaces visant sa famille et elle : «Je crains que de telles pressions ne visent d'autres défenseurs du processus de justice transitionnelle et surtout les juges des chambres spécialisées, qui ont besoin urgemment d'une protection». Depuis, une enquête judiciaire pour déterminer les auteurs de la missive a été ouverte. Elle a également pris la parole pour dénoncer la succession de plateaux déséquilibrés où seuls les présumés responsables sont présents. «Notre douleur à nous les familles des martyrs et blessés de la révolution a été oubliée quand elle n'a pas été instrumentalisée par les hommes politiques de tous bords», s'insurge Lamia Farhani. Ridha Barakati, frère de Nabil Barakati, victime d'un homicide volontaire a lui aussi pris la parole pour assurer : «Ils nous accusent de vouloir installer des échafauds pour pendre les accusés des chambres pénales spécialisées. Rien n'est moins vrai ! Car nous sommes en plus contre la peine de mort ! Mais nous nous opposons à la perpétuation des pratiques répressives en raison de l'impunité qui sévit toujours». Dans un communiqué de presse publié hier, les organisateurs de la conférence de presse ont exprimé leur profonde préoccupation devant ce qu'ils ont constaté lors des procès devant les chambres spécialisées en justice transitionnelle : «Notamment le manque de sérieux de la police judiciaire, sous la supervision du ministère de l'Intérieur, dans l'obstruction de la communication des convocations aux auteurs présumés des violations, entraînant l'absence de la plupart d'entre eux à comparaître devant les tribunaux, mais aussi en leur accordant un statut de protection, qui constitue une violation du principe de l'égalité de tous devant la justice et la loi, et tiennent le ministre de l'Intérieur pour responsable», relèvent-ils. Ils mettent également en garde contre toute intervention législative visant à abandonner les procès en cours devant les chambres spécialisées, «ce qui constituerait une ingérence importante dans l'administration de la justice, une violation grave de la Constitution», déclarent-ils.