Eddy Mitchell a toujours bien aimé le contrepied. Quand on lui serinait qu'il ne serait rien sans les Chaussettes Noires, il a fait le pari de voler de ses propres ailes. Quarante-sept ans plus tard, il titre Come back l'album avec lequel il va faire sa tournée d'adieu. Commencée le 18 octobre, la tournée «Ma dernière séance» s'achèvera en septembre 2011 et — c'est promis-juré — Eddy ne montera plus sur scène. Il s'est çà et là expliqué dans les médias, en évitant soigneusement de trop paraître charrier son vieux camarade Johnny Hallyday qui, après avoir frôlé la mort au cours de péripéties médicales ayant interrompu son Tour 66 qui devait être le dernier, a annoncé son intention de revenir sur scène en 2012. Et c'est dans son nouvel album, avec la chanson Je suis vintage, que l'on trouve ce qui est sans doute l'explication la plus vraie et la plus sincère de sa décision : "J'voudrais pas m'sous-estimer/Mais mon temps est compté/J'voudrais pas finir comme un vinyle/Oublié seul sur une platine/Rayé". Autoportrait Est-ce qu'il trouve vraiment que son temps est compté ? En tout cas, à soixante-huit ans, Eddy Mitchell n'a jamais autant parlé avec une telle sincérité à la première personne du singulier. Dans la chanson Come back, il écrit : "J'ai connu des hauts qui m'envoyaient en bas/Côtoyé la gloire et l'insuccès/Cinquante ans de chanson derrière moi/Il est temps de savoir où je vais". Par petites touches, il dresse tout au long de l'album l'autoportrait d'un artiste qui se demande s'il a tout à fait réussi sa vie d'homme, et d'un homme qui n'a pas trouvé toutes les réponses dans sa carrière artistique. Et dans les titres L'Esprit rock'n'roll ou Avoir seize ans aujourd'hui, il s'adresse avec tendresse à ses cadets, mais surtout pour leur faire partager ses incertitudes ou sa conviction qu'il ne faut jamais perdre de vue sa personnalité profonde. Dans cet album comme dans bien d'autres occasions dans sa carrière, Eddy Mitchell surprend. Il y a quelques lustres, son Il ne rentre pas ce soir avait porté un constat humain sur l'ampleur que prenait le drame du chômage en France. Ici, le citoyen Claude Moine fait entendre ses inquiétudes devant la montée de l'intolérance dans Pas besoin de ça, s'attaque à la petitesse des exécuteurs des basses œuvres de la guerre économique dans Un garçon facile, s'adresse aux journalistes de la presse people dans Tu fermes les yeux sur tout… Preuve qu'il a vraiment voulu fendre l'armure : pour la première fois, Eddy Mitchell a demandé une chanson à Alain Souchon et Laurent Voulzy, qui lui ont écrit L'Esprit grande prairie, chanson qui parle de lui-même à la troisième personne du singulier. Ce premier single de l'album raconte l'essentiel de la légende dans laquelle "le p'tit Claude s'appelle Eddy" – l'enfant rêveur, le chemin de traverse, l'empreinte du cinéma… Il chante lui-même une chanson qui le raconte de l'extérieur, comme s'il rendait hommage à un autre… Chez tout autre, cela sonnerait comme une furie égotiste; chez Eddy, cela ressemble aux premiers pas d'une nouvelle vie, qui le séparerait de son personnage de légende.