Ce qui manque le plus à nos artistes, ce sont des échappées belles à l'étranger, pour aller confronter leur art, à travers le bruit et la fureur des mouvements internationaux, au lieu de vivre en vase clos et de cultiver les préjugés jusqu'à s'annihiler complètement. L'assertion pascalienne, «Vérité au deçà… erreur au-delà», a la peau dure, chez nous, alors que nous vivons cette ère de la mondialisation d'une manière impitoyable. Il faut donc faire circuler nos artistes afin qu'ils deviennent des citoyens du monde, à part entière. Afin qu'ils puissent montrer qu'ils ont du génie en la matière et entrer de plain-pied dans le marché de l'art international qui leur manque tant. Certains d'entre eux, jeunes ou moins jeunes, qui à travers le Net, qui à travers leurs relations personnelles, ont trouvé les voies qui mènent vers ces chapelles de l'art occidental et qui le leur rendent bien d'ailleurs. C'est le cas, notamment, du plasticien Fethi Zbidi, architecte d'intérieur de métier, qui ne s'était plus manifesté à travers sa peinture durant une bonne vingtaine d'années à cause de ces préjugés vivaces dans notre enclos, et qui a décidé de circuler ailleurs. Son art, fait de gestes et de couleurs, de signes et de fragements de calligraphie arabe, continue dans ce même style antérieurement forgé, tout en rénovant. La galerie Gora, comme une agora et… une medersa Du 10 au 30 novembre dernier, Fethi Zbidi, originaire de la Perle du Sahel, était invité au Canada pour une exposition personnelle, à la galerie Gora, à Montréal. Il s'agit d'un espace d'art international et pluridisciplinaire célèbre, situé en plein centre-ville, à Sherbrook Ouest. Sa vocation est de sensibiliser le public québécois sur les phénomènes artistiques de notre époque d'où qu'ils viennent. Selon les témoignages filmés par notre artiste, le jour du vernissage, la galerie Gora est fréquentée aussi bien par des artistes plasticiens célèbres et des mécènes avertis, que par le monde du show-biz, celui des écrivains, des poètes, et les artistes du quatrième et septième art. Véritable lieu de convivialité et espace ouvert à tous les imaginaires, il est aussi un marché vivant où la cote des artistes peut atteindre des sommes faramineuses… en millions de dollars canadiens. «La chose la plus étonnante, nous fait remarquer Fethi Zbidi, c'est qu'en dehors des techniques classiques des arts plastiques et graphiques, y figurent toutes sortes d'objets du quotidien, les plus insignifiants, détournés par les artistes et même — à titre d'exemple — des multiples d'un crâne humain, coloriés ou marquetés. Tout cela se transformant en pièces de jubilation qui sont payées rubis sur l'ongle!». Donc tout est art… Le vernissage de l'exposition de Fethi Zbidi, accompagné par un récital de musique, avait les senteurs des brises marines de la Méditerranée, au milieu de ce gotha de la capitale québecoise. Ses toiles de moyen et grand formats, sur fond d'abstraction lyrique et de «peau de l'œuvre» tatouée, ont été perçues par le critique d'art américain Erich Koeppel comme «une gestualité mouvementée transformant la chromatique en une danse de couleurs (les nuances du bleu, notamment), donnant ainsi vie à l'expression de son intériorité, influencée par ses origines méditerranéennes». Excusez notre mauvaise traduction de l'anglo-saxon… la Tunisie, pays du Maghreb, ce petit pays qui a donné son nom à tout un continent : Africa… mais surtout Carthage Hannibal et aussi sa civilisations arabo-andalouse… Les visiteurs, enthousiasmés autant par les œuvres «où les limites, entre apparence et essences des choses, se jouent du regard» que par l'artiste lui-même à la bouille d'un Gian Maria Volante (dans «Sacco et Vanzetti») ont, en effet, été ravis par cette exposition. Au point que Marco Vigneaut, poète-journaliste québécois, subjugué par l'artiste et ses œuvres, a donné, le 25 de ce même mois, un récital de poésie à partir des titres des œuvres : «Un texte, dit-il, une identité propre à chacune de ses œuvres a été pour moi comme de vivre la création première de l'œuvre, et un peu comme assisté au souffle premier d'un enfant». Un exemple de strophe à partir d'un titre : Brise méditerranéenne : «Je n'ai jamais senti ton souffle/Mais de par Montréal ma multiculturelle/J'ai senti tes arômes». C'est ainsi d'ailleurs que durant une vingtaine de jours la galerie Gora s'est transformée en agora grecque et en medersa andalouse. Une expérience artistique qui aura apporté beaucoup de baume et de chaleur méditerranéenne dans le climat hivernal rigoureux de Montréal. Ottawa sera la prochaine destinée de Fethi Zbidi pour de nouvelles rencontres artistiques.