Fin décembre, c'est l'heure des bilans. C'est-à-dire de la ritournelle des pertes et profits. Et l'année 2010 a imposé une espèce de permanence des bilans. Un peu partout, on s'est davantage engouffré dans les méandres de la crise. Ou plutôt des crises. Elles sont économiques, sociales, politiques, militaires, institutionnelles… On n'est pas près de s'en défaire de sitôt, semble-t-il. L'économie internationale mondialisée n'en finit pas d'internationaliser les tensions et conflits. Le ton de l'éditorialiste de PressEurop en dit long là-dessus : "Ce fut une année de bruit et de fureur. De la quasi-faillite grecque à la crise irlandaise, l'Europe a vécu 2010 dans la crainte d'un éclatement de la zone euro, appliquant au passage une austérité qui s'annonce durable et mettant en place un mécanisme inédit de stabilité financière. Pendant ce temps, l'Allemagne semblait remettre en cause le principe de solidarité entre Européens, la France expulsait des milliers de Roms et l'extrême droite entrait au Parlement en Suède et presque au gouvernement aux Pays-Bas. La Pologne perdait une nouvelle fois ses élites près de Katyn et sombrait dans un psychodrame politico-religieux, l'Italie s'enfonçait un peu plus dans le ridicule des frasques sexuelles de son chef de gouvernement et la Hongrie, sous l'impulsion d'une droite nationaliste, remettait en cause son ordre constitutionnel. Année chaotique, donc. Année difficile, aussi, pour une Europe qui semble devoir être de plus en plus marginalisée sur la scène internationale, prise de vitesse par un monde émergent souvent moins démocratique mais plus dynamique". Il faut dire que le XXIe siècle a mal commencé. Désastreuses guerres américaines en Irak et en Afghanistan, poussées terroristes non endiguées, nationalismes antagoniques, retour du spectre de la Guerre froide, sur-mondialisation capitaliste génératrice de déséquilibres stratégiques, crises et paupérisation… Dans cette optique, l'année 2010 n'est pas plus malheureuse que d'autres années récentes. Elle s'inscrit dans un cycle spectaculairement révélé en 2008. Mais c'est aussi un chaînon dans un tunnel dont on ne voit guère le bout. Et pourtant, la donne a considérablement changé. La mondialisation a arrimé au circuit international des multitudes jusqu'alors confinées dans les sphères scélérates des laissés-pour-compte. La valorisation et le nivellement des économies émergentes asiatiques — principalement la Chine et l'Inde — ont suscité des appétits énergétiques faramineux. D'où le renchérissement soutenu des prix des hydrocarbures et de certaines matières premières. En même temps, la dégradation de la situation dans un très grand nombre de pays, notamment en Afrique et en Asie, a généré des flux migratoires en bonne partie clandestins vers le Nord. L'Europe, quant à elle, a tôt fait de s'ériger en forteresse. Posture vaine en fait. Depuis la nuit des temps, lorsque la richesse ne va pas vers certaines gens, elles vont vers elle. Immanquablement, à leurs corps défendant, mais elles y vont. Sourdement, comme mues par quelque instinct ancestral et fatal. Et puis l'Europe tente le diable tout en faussant le jeu. Elle propose un peu partout des zones de libre-échange à ses partenaires sud-méditerranéens, africains et asiatiques. Mais la liberté de circulation, à sens unique qui plus est, s'y limite paradoxalement aux seuls capitaux et marchandises. Les personnes, elles, sont confinées dans la fixation à perpétuelle demeure. Des dispositifs bien cadenassés y veillent. Visas, clôtures, déploiement de troupes aux frontières extérieures, chasses à l'homme, centre de détention d'un autre âge… C'est dire les doublures vicieuses d'un marasme dont tout le monde pâtit au bout du compte. Et puis les illusions font qu'on croit que dans les processus historiques et les enjeux sociaux, il doit toujours y avoir un gagnant et un perdant. Or, il est bien souvent des situations où tous les protagonistes sont perdants. Des espèces de sommes nulles s'y accumulent aux dépens de tous. Tel semble être le cas de notre monde au bout de cette année de grâce 2010.