Les éditions Présence africaine viennent de réimprimer L'Art nègre, un ouvrage publié en 1951. Soixante ans après sa première parution, ce riche compendium des connaissances sur l'art des Noirs d'Afrique n'a rien perdu de son actualité. Voilà qu'on reparle de l'art africain ! Le 3e Festival mondial des arts nègres à Dakar et à Saint-Louis avait accueilli du 10 au 31 décembre de nombreuses manifestations consacrées à l'art africain contemporain. Egalement, la Monnaie de Paris avait présenté du 9 septembre au 2 octobre derniers la magnifique exposition intitulée Les statues meurent aussi – Ode au grand art africain. Titre qui rend hommage au célèbre documentaire d'Alain Resnais et de Chris Marker sur l'art en Afrique, le colonialisme et le commerce artistique. A l'occasion de cette exposition parisienne, les éditions Présence africaine ont réimprimé un numéro double de leur revue éponyme consacrée à L'art nègre, paru en 1951 puis réimprimé en 1966 dans une version enrichie de nouveaux articles. Le volume réunit des textes sous la plume des experts de l'art africain et des africanistes éminents. Agrémenté d'illustrations et de photographies, il comporte des articles signés par de grands spécialistes des arts plastiques africains de l'époque (Jacques Macquet, Charles Ratton, Daniel-Henry Kahnweiler…), mais aussi par des africanistes de renom tels que Georges Balandier, Marcel Griaule et Denise Paulme. L'art africain, un sujet qui pose problème L'Art nègre reste un des ouvrages les plus complets sur la question. Les auteurs réunis dans cet opus abordent leur objet d'étude sous différents angles — historique, sociologique, symbolique, muséographique — permettant ainsi aux lecteurs d'appréhender la question de l'art africain dans son ensemble. D'emblée, l'ancien directeur de Présence africaine, Alioune Diop, met les pieds dans le plat. L'art africain est un sujet qui pose problème. Il affirme dans sa préface : «Or, l'artiste africain vous est inconnu, lecteur d'Europe. Les œuvres dont il est question dans ce volume ne vous étaient pas destinées ». Autrement dit, l'art africain tel qu'on le connaît serait avant tout une invention européenne ! «Il n'y a pas encore d'art en Afrique noire», écrit Diop. Les spécialistes se demandent aussi pourquoi l'art africain est relégué dans des musées anthropologiques. Cette question, on le sait aujourd'hui, a fait couler beaucoup d'encre, notamment lors de l'ouverture au Musée du Louvre en 2000 du Pavillon des Sessions, une section consacrée aux sculptures africaines, puis de nouveau en 2006, lors du transfert des collections des arts premiers du Musée de l'Homme au Musée du Quai Branly. Les auteurs de L'Art nègre n'apportent pas vraiment de réponses à ces interrogations, mais proposent des pistes de réflexion, comme le fait Alexandre Adandé dans son article au titre éloquent : L'impérieuse nécessité des musées africains. Plusieurs des auteurs reviennent aussi sur la découverte fatidique de statuaires et de masques africains au début du siècle dernier par une poignée d'artistes parisiens et comment cette découverte allait permettre de jeter les bases de la modernité artistique occidentale. Ces découvreurs s'appelaient Picasso, Derain, Braque, Matisse, Vlaminck… De cette rencontre paradoxale entre ce que l'Européen moyen de l'époque considérait comme « des peuples primitifs » et les esprits les plus avant-gardistes de la civilisation occidentale, naîtra le cubisme qui a révolutionné les canons et les codes de l'esthétique occidentale. Comment ? Pour comprendre le mécanisme de cette influence, on lira avec intérêt le marchand d'art Daniel-Henry Kahnweiler qui explique dans son essai L'art nègre et le cubisme la nature exacte des rapports qui se sont noués entre les peintres parisiens et les objets d'art africain.