Par Carl-Alexandre Robyn (Ingénieur-conseil) Tirées de deux expériences récentes, l'une avec des industriels du textile qui cherchent à exporter vers l'Europe du Nord et l'autre avec des fonctionnaires du dispositif d'appui à l'exportation, basés en région Benelux, voici quelques pistes pour que la Tunisie puisse rester dans la course à la compétitivité et avoir ainsi un accès plus aisé aux marchés que lui ouvre la mondialisation. Lors de ma dernière visite en Tunisie (novembre 2010), grâce à l'entremise du facilitateur d'affaires, le cabinet Soltana Consulting, basé à Tunis, j'ai pu m'entretenir avec bon nombre d'industriels du textile. Ce qui est frappant, en les écoutant, c'est leur sous-estimation de leur potentiel et/ou l'étroitesse de leur argumentaire de vente. En effet, tous les exportateurs de la filière textile, réconfortés sans doute par le fait que certains donneurs d'ordre européens, dépités par leurs expériences en Asie du Sud-Est reviennent aux sources tunisiennes, évoquent le savoir-faire d'une main-d'œuvre qualifiée, une qualité de service répondant de mieux en mieux aux attentes, la possibilité de délais de livraison de plus en plus courts grâce à des outils modernes et efficaces de logistique et de planification, ainsi que la proximité géographique. Plus rares sont les commerciaux des exportateurs sachant construire un argumentaire original sur une véritable valeur ajoutée de la Tunisie par rapport à la concurrence du Pakistan, du Bangladesh, de l'Inde, de la Chine et même de la Turquie, à savoir, le respect des normes sociales et environnementales (la Tunisie est signataire des accords de Genève). Deux atouts chers aux clients européens et pourtant rarement mis en avant par les entreprises tunisiennes. Dans toutes les usines et ateliers visités, j'ai vu l'apparence soignée d'ouvrières en bonne santé, des chefs d'atelier vigilants mais bienveillants et jamais d'enfants. L'argumentaire des équipes de vente se cantonne encore trop souvent sur les seuls aspects purement économiques (technique et matériel utilisés, coûts de production, délais de livraison, conditions de paiement, etc.). Certes, ce sont des critères habituels de négociation. Quoique l'art et la manière d'avancer leurs arguments lors des processus de négociation sont encore perfectibles chez les cadres commerciaux des entreprises exportatrices, il devient surtout indispensable pour ces derniers de développer un savoir-être (le savoir-faire technique et commercial étant déjà bien développé) avec leurs clients européens. Mondialisation oblige, ceux-ci sont confrontés à une offre de producteurs, de cotraitants et de sous-traitants de plus en plus abondante (songez notamment aux pays de l'Est nouvellement inclus dans la Communauté européenne ou s'apprêtant à l'être) ; de ce fait les arguments purement rationnels (économiques et commerciaux) perdent de leur impact pour emporter la décision du client européen. Dès lors, le cadre commercial de l'entreprise textile doit encore fournir un effort supplémentaire pour dynamiser la relation et la faire fructifier. Appeler son client du Nord pour savoir si tout va bien, s'il est content de vos produits, en dehors de toute approche commerciale pure et dure permet de nouer une vraie relation humaine. Il faut toujours avoir à l'esprit que la première cause de départ d'un client n'est ni une question de prix ni de produit, c'est le manque de considération. Sortir de la simple relation commerciale pour apporter une véritable plus-value à sa relation client, c'est surprendre son client en offrant un service en plus qui différencie l'exportateur de ses concurrents tout en créant une relation forte et atypique. De nos jours, dans un marché hyperconcurrentiel comme celui du textile, la priorité pour le personnel commercial, avant même de vendre ou de servir, est de créer un lien affectif. Il ne s'agit pas de distribuer des rabais, ristournes ou réductions aux clients européens, mais de centrer la stratégie de service sur des valeurs telles que respect, générosité et empathie. Par exemple, dans une usine de textile d'habillement, située près de la côte entre Sousse et Monastir, les employés du parking qui représentent donc le dernier contact avec le client proposent aux visiteurs étrangers qui reprennent la route une bouteille d'eau fraîche pour le voyage, mais aussi une information sur leur trajet de retour ou sur l'état du trafic. Subtilement, par une expérience agréable, il s'agit de «rendre le client débiteur», pour l'amener à passer un bon de commande et le fidéliser. En fait, le service, c'est la valeur ajoutée qu'un être humain peut offrir à un client pour qu'il vive une émotion. Or, de trop nombreux cadres commerciaux en contact avec la clientèle européenne n'ont pas le sentiment d'apporter de valeur ajoutée. Il est donc essentiel de former les managers à transmettre cet état d'esprit, ces valeurs. Pour bonifier leur renommée respective, le Famex (Fonds d'accès aux marchés extérieurs) et le Foprodex (Fonds de promotion des exportations) pourraient, par exemple, organiser des formations ponctuelles ou continues permettant aux commerciaux des principales industries exportatrices d'acquérir des clés comportementales ou relationnelles innovantes pour séduire une clientèle européenne de plus en plus difficile à satisfaire et à fidéliser. Il s'agit de compléter le bagage technique des commerciaux par des «soft skills» (compétences douces) axées principalement sur le savoir-être. D'autre part, il conviendrait également de changer certaines approches des antennes locales du dispositif public de soutien aux exportateurs, notamment quand il s'agit d'organiser une mission commerciale en région Benelux. Aujourd'hui, les représentants du Cepex à l'étranger sont obligés d'innover dans leurs démarches pour tisser des liens directs avec des clients potentiels européens et pour convaincre ceux-ci de participer à un événement qui en vaille réellement la peine. Malheureusement, force est de constater que bien souvent les démarches de ces fonctionnaires sont trop classiques, voire démodées et donc peu motivantes pour une clientèle européenne très sollicitée par les fabricants du monde entier. On ne peut plus se contenter des habituelles campagnes de presse, des invitations de personnalités officielles du terroir pour accueillir les visiteurs tunisiens, des dîners officiels dans les palais de gouverneurs, précédés de longs discours ennuyeux, etc. Cela n'amuse ni les exportateurs tunisiens ni surtout les clients européens. Pour accroître les chances de succès dans l'organisation de rencontres entre industriels tunisiens et clients européens il faut oser l'avant-gardisme relationnel, sortir du cadre conventionnel, minimaliser le formalisme des rencontres… Le Cepex aurait tout à gagner d'organiser pour ses représentants à l'étranger des sessions d'initiation à un concept novateur, d'accompagnement des exportateurs.