Par Mohamed EL MONCEF D'habitude, je respecte d'une façon religieuse le code de la route. Ce jour-là, j'ai eu le malheur de faire exception à la règle. Le policier m'arrête. Je baisse la vitre pour m'excuser et lui présenter mes papiers. Je salue respectueusement. Il m'ignore et me demande agressivement mes papiers. Il n'est pas dans l'habitude des agents de la circulation d'être agressifs. Il est même de leur devoir de saluer le citoyen pour l'aborder. Offusqué par ces manières rabaissantes, j'ai signalé au policier qu'il n'avait pas à être aussi impoli et que la loi exige qu'il commence par saluer le citoyen, chose qu'il n'a pas faite. Pire encore, il n'avait même pas répondu à mon «bonjour». «Tu n'as aucun droit au respect. Tu as grillé un stop», me répond le policier, irrité. Très irrité ! Excédé par cette réaction, je réponds :» Le fait que j'étais dans l'erreur ne vous autorise ni à être humiliant ni à ignorer mes salutations! «Le visage du policier vire au rouge. «Te saluer?! Oublie. Jamais ! Et je vais t'humilier encore plus si tu continues à me casser les pieds...». Ma colère à moi et mon indignation m'empêchent de réaliser que je suis en présence d'un policier dépressif ou peut-être même dérangé. Je réponds donc: «D'accord, prenez les papiers et faites votre devoir mais j'irai me plaindre à la police des polices, la Haute Inspection des forces de la Sûreté». Là, le policier devient (comme) fou et me demande de descendre de la voiture. «Plains-toi donc et je dirai que tu mens et que tu m'as insulté». Pour la première fois de ma vie, et du haut de mes 53 ans, je réalise qu'un jour, par hasard, on peut être battu impunément par un policier. Celui-là même qui est censé nous protéger. Heureusement, ce jour-là, j'avais énormément de chance. Savez-vous pourquoi? Parce qu'au moment où mes pieds avaient foulé le sol, deux agents en civil de La Haute Inspection des forces de la Sûreté étaient là pour stopper le policier en furie. «C'est incroyable, quelle chance j'ai eu que vous soyez là !», dis-je. «Ce n'est pas de la chance, c'est notre travail. On nous a présenté une plainte concernant l'agressivité de ce policier. D'habitude, c'est un stratagème qu'il utilise. Il se présente comme étant intraitable pour demander plus tard le maximum d'argent afin de fermer l'œil sur la contravention. Mais un jour, il est tombé sur un Tunisien vivant en Europe. Ces Tunisiens-là n'ont pas l'habitude de ce genre de manœuvres et il avait réagi comme vous. Il a été donc insulté et a failli être roué de coups. Il a porté plainte auprès de nos services. Nous avons alors convoqué l'agent de police mais il a tout nié. C'est pour cela que nous avions aujourd'hui pour mission de l'épier pour le surprendre en flagrant cas d'abus de pouvoir!» Merci la police des polices. Merci et longue vie ! A qui profiterait la suppression de la police des polices ? Mais, en fait, la police des polices ou la Haute Inspection des forces de la Sûreté intérieure, de la Douane, de la Gendarmerie et de la Protection civile n'a jamais été aussi en péril qu'aujourd'hui. Certains policiers demandent à ce qu'elle disparaisse. Pourquoi et quels sont leurs arguments pour nous priver d'un organisme nous permettant de nous défendre contre leurs abus ? Ils prétendent qu'avec les dernières augmentations des salaires, les policiers n'auront plus besoin d'être soudoyés et, donc, ce genre de corruption va disparaître de lui-même. Ils avancent, également, que chaque corps de sécurité (Sûreté intérieure, Garde nationale, Douane, Protection civile) a déjà sa propre inspection interne. Donc, selon eux, il n'y a pas besoin d'une Inspection générale englobant et supervisant tous les corps de sécurité et chapeautée par une personnalité indépendante : un magistrat. Tous les Tunisiens savent qu'aucune augmentation de salaire ne pourrait remplacer l'importante "recette" quotidienne qu'un policier corrompu pourrait ramasser par de multiples moyens illicites (cela peut aller de l'argent ramassé auprès des conducteurs contrevenants aux recettes provenant du proxénétisme ou de la couverture du trafic de drogue). La tentation est donc trop forte et la bonne conscience des quelques policiers corrompus est loin d'être une garantie pour ne pas y céder. Quant aux corps d'inspection internes, qui existaient avant la création de la Haute Inspection, ils ne peuvent nullement remplacer cette dernière. En réalité, ces organismes n'ont qu'un rôle administratif. Ils sont formés par des employés de bureau qui ne quittent pas l'administration. Ils attendent que des plaintes leur parviennent. Ils convoquent les agents suspects. Ces derniers nient ce qu'on leur reproche et s'il n' y a pas de preuve tangible (ce qui est très souvent le cas: c'est la parole du policier, entendue par un autre policier, chapeauté par un policier, contre la parole du pauvre citoyen !), le suspect n'est plus dérangé. Quant au citoyen qui a osé porter plainte, l'affaire pourrait ne pas s'arrêter là ! Nous le voyons, donc, avec ce système, la loi de la jungle, où le citoyen est une proie facile, ne risque pas de disparaître. Or, nous avons fait la Révolution, chacun à sa façon, pour empêcher l'Etat policier de continuer à sévir. Bafouer les droits des citoyens n'est plus une mince affaire. Il est plus que jamais utile de doter les organismes limitant ces abus policiers de tous les moyens pour que l'injustice s'arrête. Or, la Haute Inspection dispose de ces moyens. Contrairement aux autres inspections, ses agents sont mobiles. Ils n'attendent pas que les citoyens viennent porter plainte. Ils vont sur le terrain pour arrêter les policiers surpris en train de picoler alors qu'ils sont censés veiller au respect de l'ordre, ou le douanier corrompu qui demande au citoyen revenant à son pays, après 20 ans d'exil, une somme coquette pour lui permettre de dédouaner son conteneur ! La Haute Inspection peut même inspecter les postes de police pour vérifier s'ils sont en train de faire leur travail convenablement et vérifier, par exemple s'il n'y a pas de plaintes étouffées sous des boîtes d'archives intentionellement oubliées. Les sanctions de la Haute Inspection ne sont pas uniquement anodines et administratives, comme c'est le cas des autres inspections. Pour les affaires qui l'exigent, la Haute Inspection peut avoir les prérogatives de la police judiciaire et faire comparaître les suspects devant la justice. Et ces pouvoirs-là, elle peut les appliquer sur toute la République. On comprend donc que cet organisme devienne la bête noire de tout policier corrompu. Quant aux autres policiers, ceux qui veulent épurer la police de ses bourreaux, cette Inspection ne pourrait que leur convenir pour se réconcilier définitivement avec leurs concitoyens. Le meilleur cadeau que puissent donc faire la Révolution et le gouvernement transitoire qui la représentent aux citoyens serait de confirmer et de renforcer les prérogatives de cet organisme. Plier face aux pressions de quelques dangereux policiers corrompus en pensant à la suppression de la Haute Inspection des forces de la Sûreté desservira certainement l'avenir de la Tunisie. Le ministre de l'Intérieur, le courageux M. Rajhi, ne saurait l'accepter. C'est, du moins, notre espoir.