Par Foued ALLANI Tel un code de la route qui sert à éviter les accidents et organiser la circulation, une Constitution a pour première mission d'organiser la vie politique dans le pays où elle est en vigueur et d'éviter ainsi les conflits majeurs susceptibles de dégénérer et de déboucher sur le chaos. La Constitution ou le chaos. Certains ont choisi la seconde voie, celle qui mènerait tout droit, à notre humble avis, au chaos. Ils l'ont fait certainement de bonne foi en se réclamant de la «légitimité révolutionnaire», concept flou et glissant, fondant ainsi leur choix sur deux arguments au moins. Le premier est que puisque la Constitution telle qu'elle existe aujourd'hui est taillée sur mesure pour le président déchu et qu'elle ne répond pas aux aspirations du peuple (ce qui est tout à fait vrai), il faut donc tout de suite la changer. Le second est que la révolution du 14 janvier a déjà rendu caduc ce texte (la Constitution). Arguments qui à notre humble avis ne tiennent pas la route, surtout en ce moment bien précis et délicat de notre histoire, sachant que la Constitution actuelle a prévu les mécanismes nécessaires pouvant aboutir à une nouvelle Constitution. Disons d'emblée que toute notre vie politique aujourd'hui se fonde entièrement sur la Constitution actuelle datant du 1er juin 1959 et amendée plusieurs fois, la dernière le 1er juin 2002, suite au référendum du 26 mai 2002. Toute notre vie politique et publique d'une façon générale continue donc d'être régie par ce texte, y compris les libertés que nous sommes en train d'exercer pleinement depuis le 14 janvier historique (le fameux article 8 essentiellement). La vacance du poste de président de la République due à la fuite du titulaire dudit poste le 14 janvier dernier laissant le pays livré à lui-même a été gérée du début, et elle sera espérons-le jusqu'à la fin, par la Constitution. Texte, inutile de le rappeler (nous le faisons quand même) qui jouit d'une légitimité légale au-dessus de tout soupçon, et ce, malgré ses multiples et pernicieux inconvénients et ses innombrables lacunes. Cette situation dûment constatée par le Conseil constitutionnel telle que le prévoit la Constitution a donné suite, le 15 janvier, à l'application de l'article 57 de ladite Loi fondamentale, et le président de la Chambre des députés a été investi immédiatement et en bonne et due forme de la fonction de président de la République par intérim pour une période ne devant pas excéder les 60 jours (art. 57). De ce fait, «il exerce les attributions dévolues à ce poste sauf quelques-unes» (art. 57). Il ne peut ni recourir au référendum, ni démettre le gouvernement, ni dissoudre la Chambre des députés, ni prendre les mesures exceptionnelles prévues par l'article 46 de la Constitution, ni encore «présenter sa candidature à la présidence de la République même en cas de démission». C'est entre autres pour cela que l'actuel Premier ministre ne peut pas être démis de ses fonctions (il peut toutefois être chargé une nouvelle fois de proposer des remaniements au sein du gouvernement). Il faudrait rappeler aussi qu'en vertu du même article, la Constitution ne peut être amendée au cours de la présidence par intérim. Le premier vrai acte politico-juridique qui doit émaner du peuple sera donc la participation aux prochaines élections présidentielles que le pouvoir exécutif est tenu d'organiser dans les conditions les meilleures, moyennant bien sûr les amendements nécessaires au Code électoral afin d'en éliminer tous les verrous à caractère exclusiviste. Chose qui sera faite, selon le désir de tous, grâce notamment à la possibilité offerte légalement au président par intérim de promulguer des décrets-lois. Un Etat de fait ne veut pas dire un Etat de droit Cette transition qui devra prendre fin le 15 mars prochain, date butoir des élections présidentielles, est donc entièrement régie par la Constitution, moëlle épinière juridique de l'Etat. Toute atteinte à ce texte a pour conséquence directe de plonger le pays dans l'arbitraire, donc dans le chaos. Et le gouvernement est appelé à prendre toutes les dispositions nécessaires comme l'a exprimé le peuple et comme il (le gouvernement) s'est engagé à le concrétiser, pour l'organisation d'élections présidentielles libres, transparentes, avec toutes les garanties nécessaires. Que veut dire en effet «légitimité révolutionnaire»? Un Etat de fait. Jamais un Etat de droit. Qui détient cette légitimité ? Le peuple bien sûr. Mais le problème n'est pas dans la définition du détenteur de cette légitimité mais dans la manière avec laquelle elle s'exprime, et là point de réponse. Car la seule manière qui exprime la volonté d'un peuple, ce sont les urnes. Or ce qui a été institué par les urnes (la Constitution dans ce cas bien précis) ne peut être dissous que par ces mêmes urnes. Non Messieurs les démagogues, l'Etat n'est pas un gadget et la destinée de tout un pays n'est pas un jeu ! Ce sont donc les urnes qui choisiront le président de la République. Une fois investi de cette magistrature suprême, toujours selon la Constitution, celui-ci aura le pouvoir, s'il le veut, de dissoudre la Chambre des députés et appeler ainsi à des élections législatives anticipées. Il le fera certainement. Et il se pliera aux désirs de l'ensemble des forces vives du pays qui réclament une nouvelle Constitution conforme aux idéaux du processus révolutionnaire. Ce n'est que grâce à ces procédures que le peuple pourra affirmer sa volonté et non par le biais d'une logique qui n'en est pas une. Et ce n'est qu'après cela que le processus révolutionnaire aura abouti. L'article 39 donne la réponse Cependant et vu l'état actuel qui prévaut dans notre pays, des élections présidentielles semblent impossibles à organiser d'ici le 15 mars. De plus, la situation sociale et économique du pays oblige à tout faire pour sauver la saison touristique et l'année scolaire et celle universitaire au moins. Cela sans oublier une chose très importante : mener comme il se doit les différentes enquêtes visant à délimiter les responsabilités dans tous les dépassements (violence et corruption). La Constitution nous donne la réponse à ce dilemme. Et se trouve dans l'article 39. Que nos illustres maîtres constitutionnalistes nous pardonnent cette témérité et soient indulgents envers cette tentative qui n'est qu'une simple lecture et ne prétend aucunement interpréter le texte. Le président de la République, qui est garant de la continuité de l'Etat (il l'assure selon l'article 41), a la possibilité, selon l'article 39, de voir son mandat prorogé par une loi adoptée par la Chambre des députés, et ce, jusqu'à ce qu'il soit possible de procéder aux élections, et ce, au cas où il aurait été jugé de «l'impossibilité de procéder en temps utile aux élections, pour cause de guerre ou de péril imminent». Sachant que l'article 39 parle de l'institution de la présidence de la République d'une façon générale, et son alinéa 2 qui explicite ladite dérogation est rédigé selon une approche qui se limite seulement aux causes citées, tout en parlant d'élections d'une façon générale, nous pouvons nous en servir pour débloquer une situation délicate et permettre à notre pays de mener à bon port sa révolution dont le processus encore en cours est menacé de toutes parts (péril imminent) et qui pourrait déboucher, le cas échéant, sur le chaos. Le 15 juillet serait donc une date raisonnable pour le premier tour des présidentielles. La Constitution, texte faut-il le rappeler qui porte son essence dans son nom, reste donc notre unique et réel repère, notre planche de salut.