Par Ali TRABELSI Certes le gouvernement provisoire, comme son nom l'indique, a une mission limitée dans le temps, et se doit avant tout de gérer le quotidien pour éviter la paralysie du pays, mais ceci ne peut être invoqué comme raison pour ne pas entreprendre certaines réformes et prendre des mesures pour répondre à des urgences qu'on ne peut contourner. Tout le monde avait salué la mise à l'écart de certains cadres chargés de la sécurité suite à la tentative d'agression sur la personne du nouveau ministre de l'Intérieur, idem pour le remerciement de plusieurs ministres ayant exercé sous le régime de l'ancien président. Mais est-ce suffisant pour rassurer ? Assurément non, car il y a bien des secteurs stratégiques qui demeurent sous la coupe de cadres qui étaient directement ou indirectement liés à la famille qui a pillé le pays ou qui étaient impliqués d'une manière ou d'une autre dans le favoritisme à grande échelle dont jouissaient les membres du clan élargi de Ben Ali. L'on peut nous rétorquer que ces cadres n'avaient fait qu'exécuter les ordres venus d'en-haut. Cela pourrait être le cas pour certains d'entre eux, mais il est de notoriété publique que parmi cette catégorie de hauts commis de l'Etat, il y en a qui avaient fait de l'excès de zèle pour non seulement plaire à leurs maîtres, mais aussi pour avoir quelques miettes ou s'assurer une certaine impunité en cas de forfait de quelque genre que ce soit. Cela concerne aussi les administrations prodiguant des services directs aux citoyens ou celles en rapport ou chapeautant des institutions financières ou encore celles chargées de gérer les deniers publics. S'occuper de ces secteurs-clés est une obligation dont on ne peut se départir. Et c'est dans le souci d'une vraie transparence que s'inscrit cette obligation. Pour une vraie transparence L'on sait actuellement que dans certains services, on fait tout pour que l'opacité reste de mise afin que les pratiques douteuses ou contraires à la loi ne soient pas dévoilées au grand public. On a beau changer les ministres à la tête des départements tels que celui des Finances, mais l'action d'un ministre ne vaut que par la loyauté de son staff et de son adhésion aux choix consécutifs et nés de la révolution du peuple tunisien qui veut rompre et à jamais avec toutes ces pratiques qui ont gangrené toutes les activités dans le pays. Assainir, c'est le mot, parce que seul l'assainissement est à même de tracer la voie vers l'avenir qui devra être celui de la Tunisie. Maintenir à la tête de certaines institutions financières ou dans des secteurs vitaux de l'économie des responsables qui ont servi avec zèle le régime déchu, tels que celui des douanes, des banques, des assurances ou des impôts, c'est trahir la révolution et ses martyrs qui ont payé de leur vie pour éradiquer la corruption et le népotisme. L'assainissement auquel il est impératif de procéder et avec urgence est une opération salutaire pour le pays qui doit repartir sur des bases solides, construites avec des mains propres n'ayant jamais trempé dans la malversation, la corruption, le favoritisme. Opération mains propres Cette opération, qu'on pourrait baptiser «mains propres», doit avoir comme priorités les départements de l'agriculture, des domaines de l'Etat et la propriété foncière, des finances, du tourisme et du commerce. Certains cadres aujourd'hui en place et qui le sont depuis longtemps doivent être recasés ailleurs afin, pour ainsi dire, avoir la possibilité de dépoussiérer les nombreux dossiers compromettants qui risquent, avec le temps, d'être oubliés et à jamais enterrés par ceux dont l'intérêt avait souvent croisé celui de ceux qui avaient hypothéqué la Tunisie. Dans certaines entreprises publiques et même privées, le personnel avait pris l'initiative de renvoyer chez eux les dirigeants soupçonnés de collusion avec Ben Ali et ses proches, mais bien d'autres sont encore en place et à tous les niveaux. Et il est grand temps qu'ils s'effacent pour laisser la place aux compétences dont le pays regorge. Il faudra que le gouvernement provisoire initie une telle opération, assume ses responsabilités et mette hors circuit des gens qui ont fait du tort au peuple tunisien et dont le maintien à leurs postes constitue une vraie insulte à ceux qui ont combattu la dictature pour au bout du compte l'abattre, et surtout un vrai danger pour l'avenir du pays qui doit à jamais rompre avec le passé et ceux qui ont failli à leur devoir. Ceux qui se targuaient d'être les soldats du président déchu — et ils sont nombreux aujourd'hui dans les sphères de décisions — doivent s'éclipser et il est du devoir du pouvoir de les contraindre au départ, pour que ce pouvoir — même s'il est provisoire — ne soit pas aussi honni que celui auquel il a succédé. La transition n'est pas une simple mission de gestion et d'expédition de dossiers, elle est aussi et surtout une charge à la portée historique.