Par Sadok Belaid Que restera-t-il du système constitutionnel de la Tunisie à partir du 14 mars prochain, dernier jour du délai fixé par la Constitution de 1959 pour la validité du mandat du ‘Président intérimaire' ? – Très peu de choses, particulièrement lorsqu'on se réfère à la longue liste des matières ayant fait l'objet d'une ‘loi d'habilitation' et qu'on la compare à ce qui est publié au Journal officiel de la République tunisienne ! – Le ‘gouvernement provisoire', qui n'a pas mis à profit le premier mois de la période ‘intérimaire' pour produire les lois et règlements que la crise imposait de prendre, n'a pas vu le temps passer au point que l'on doute sérieusement qu'il ait encore la capacité de produire dans le délai qui lui reste, le minimum de textes juridiques nécessaire pour formuler une politique, si ténue soit-elle, susceptible de répondre aux demandes les plus simples et les plus urgentes d'une société en crise et assoiffée de réformes et d'initiatives salvatrices… Vaines gesticulations, donc, que furent ces démarches empressées d'un gouvernement en perte de vitesse auprès d'un Parlement si peu crédible et qui, après d'autres piteuses gesticulations de désespoir, a fini, comme à l'accoutumée, par donner — à une majorité non précisée et, dont la régularité pose problème… — une approbation intégrale à un projet de loi dont il n'a même pas discuté le contenu ni encore moins la constitutionnalité, dans l'espoir sous-entendu, et implicitement comblé par le ‘gouvernement provisoire', de rester en vie pour quelque temps encore ! Mais, hélas !, la roue du temps tourne inexorablement et nous voilà déjà à la veille de cette date fatidique du 14 mars… - Que va-t-il donc, se passer à partir du lendemain de ce lundi 14 mars 2001 ? ‘Jouer les prolongations' comme le donnerait à penser cette formule… si subtile de la loi d'habilitation, qui a délégué des pouvoirs très larges au ‘Président intérimaire' ‘jusqu'à la fin de sa mission', alors que la Constitution parle expressément ‘d'un délai limité et en vue d'un objet déterminé' (art. 28, al. 5) ? : peu probable, quand on connaît le degré d'exaspération des manifestants, décidés à faire durer le ‘sit-in' à la Kasbah et dans tout le pays, le temps qu'il faudra pour obtenir le départ du ‘gouvernement' actuel et l'élection d'une 'Assemblée constituante'. – Tout aussi peu probable que le ‘Président intérimaire', en fin connaisseur de la politique tunisienne qu'il est, se laisse entraîner dans une telle aventure dont il sait qu'elle risque de se traduire par des conséquences qui peuvent être aussi graves qu'imprévisibles et qu'elle risque aussi de ternir toute une carrière politique qui jusque-là, s'est déroulée sans encombre mais plutôt, dans le calme et la sérénité. En fait, tout donne à penser que tout le monde – y compris les experts du ‘gouvernement provisoire', qui ont pourtant entretenu pendant plus d'un mois l'illusion de la validité de la constitution actuelle, selon eux, parfaitement ‘réformable' et ‘maintenable' en vigueur, mais qui, aujourd'hui, proclament sans ambiguïté qu'elle ‘n'a plus sa raison d'être avec les amendements introduits au cours de ces dernières années…' – a admis que la Constitution de 1959, une ‘mort-née', en fait, a depuis longtemps perdu toute validité et qu'elle doit être définitivement mise hors-jeu, en tout cas et à tout le moins, à partir du lundi 14 mars. – ‘Game over', donc, à partir de cette date, mais avec quelles conséquences en vue ? : nous dirons que, selon la formule de M. Kaïs Saïd, cet effet ‘tsunami' épargnera l'Etat et sa continuité, mais emportera le régime dans sa totalité. ‘Game over', en effet, pour les assemblées législatives, d'abord : elles ont déjà pratiquement remis les clés du pouvoir au ‘gouvernement provisoire', en échange d'un ‘sursis de survie' de quelques mois, et sans avoir eu le courage d'esquisser un geste qui eût été digne, de présenter immédiatement une démission collective pour contribuer à une transition relativement pacifique et sans troubles. ‘Game over' pour un ‘Président intérimaire', qui en serait certainement soulagé parce que cela lui assurerait une ‘sortie honorable' de la scène politique tunisienne qu'il fréquentait depuis plusieurs décennies. ‘Game over' pour un ‘gouvernement provisoire', dont le rôle se réduirait, nolens volens, à jouer le ‘gardien de permanence', dans l'attente de la remise des clés au futur titulaire du pouvoir gouvernemental. ‘Game over' pour ce ‘Conseil constitutionnel', si peu utile qu'on en vienne à en oublier l'existence, mais qui ne peut échapper à la même destinée que les autres institutions qui vont être emportées par le ‘tsunami' du 14 mars. ‘Game over', a fortiori, pour toutes les autres institutions-oripeaux qui hélas !, n'ont performé ni dans les fonctions délibérantes ni dans les fonctions consultatives qui leur ont été, aujourd'hui ou hier, attribuées. En fait, ‘la commedia è finita !' et, TOUT doit donc être reconstruit à partir de la base et par la volonté du peuple souverain et des seuls représentants légitimes qu'il aura démocratiquement désignés… Et déjà, on entend comme le frémissement du chant de la victoire de la Révolution, qui se dégage des chaînes qui veulent l'accabler…