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L'insoutenable misère de l'être
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 02 - 2011

Pardon au grand Milan Kundera pour cet emprunt hasardeux, mais c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit après notre départ, le cœur en lambeaux, du village de Ouassiaa dans la délégation de Sbeïtla, gouvernorat de Kasserine, autre fief de la Révolution de la dignité tunisienne. Rien ne nous a préparés à cette tragédie quotidienne à laquelle semble être condamnés ces êtres, ces Tunisiens comme vous et moi, dont le seul tort aura été d'être nés au mauvais endroit. Après le délit de faciès, existe-t-il un nouveau délit de naissance ?
On a beau voir des reportages sur la situation chaotique de certains concitoyens, la réalité dépasse toutes les images crues vues jusque-là. Dès qu'on quitte la route bitumeuse pour s'engouffrer dans la piste —chemin arabe— comme on se plait à décrire ces chemins sinueux, abîmés, plein de nids de poule traversant notre pays, on a l'impression d'avoir fait un saut dans une dimension parallèle où la simple notion d'une vie décente disparaît. A mesure qu'on avance, un simulacre de vie prend place où les plus insignifiantes choses de la vie quotidienne deviennent un inaccessible espoir. C'est confirmé, on vient de franchir la porte de la misère; bienvenue à misère land.
La première chose qu'on reçoit plein la gueule c'est cette terre aride, stérile où rien ne semble vouloir pousser si ce n'est la cellulose ou la figue de barbarie ; comme si la misère quotidienne ne suffisait pas, le seul fruit qui daigne pousser ici est un fruit plein d'épines. Au bout de ce chemin bordé de haies épineuses, nous voilà dans le hameau d'Ouassiaa, village médiéval sorti de nulle part. Des maisons, que dis-je, des habitations délabrées; et le fait qu'elles tiennent encore debout est un miracle en soi. Pauvreté, pollution, misère, maladie, infirmités, handicap et analphabétisme font tous une escale ici et ne sont pas prêts de repartir. Et pour ne pas arranger les choses, une surnatalité galopante, issue de mariages consanguins, engendrant encore plus de misère et de bouches à nourrir. Le seul trophée que les hommes d'ici peuvent exhiber étant le nombre d'enfants qu'ils invitent à partager cette misère.
La vue de notre convoi fait accourir les gens du village en masse, désireux de faire entendre leurs voix. La demande la plus récurrente étant la visite de la télévision. Cette caméra magique les soulagerait d'un lourd fardeau : leur marginalisation. Ils sortiraient enfin de leur anonymat pour crier tout haut leur rage, mise en sourdine depuis des lustres, et hurler à qui veut l'entendre qu'ils existent.
Cette vision dantesque ne faisant que s'amplifier, une ritournelle question nous tourmentait: comment a-t-on pu être aussi aveugle ? Il a fallu le sacrifice d'un homme aussi miséreux qu'eux pour recouvrer la vue. En remontant le chemin cahoteux, dans le sens de la vie, tu repars avec une rage intérieure combinée à un sentiment de culpabilité qui te vide. En ce jour de Mouled, je me remémore le hadith du Prophète: «Si la pauvreté était un homme je l'aurais tué».
Un autre signe révélateur de la disgrâce de notre société : le commerce de fils de fer enlacés, reçus de l'usine de la cellulose, à désenlacer et à revendre aux producteurs de céréales pour attacher les bottes de foin. Un commerce bien révélateur, je vous disais, puisque ce fer étant fourni gratos à tout le village au départ, sa distribution est devenue limitée à une minorité bien introduite (devinez de qui je parle) pour finir sous la mainmise des ouvriers de l'usine qui en ont fait un trafic juteux pour soutirer du fric aux villageois. L'appât du gain facile a fini par gangrener toute la pyramide, corrompant ainsi les anciens frères de misère.
Exit le choc des civilisations, direction Kasserine où on est attendu à l'hôpital régional avec les lots de médicaments et accessoires demandés. Tout est censé se trouver dans le kit des premiers soins de toute petite entreprise (compresses, bandage, liquide de stérilisation...). Cette demande signe la défaillance du système sanitaire tunisien. Les surprises ne s'arrêtent pas là. Cet hôpital, fleuron de la région, prévu pour soigner les cas difficiles et extrêmes, ressemble plus à un dispensaire de l'Afrique subsaharienne avec son matériel et ses services en totale déliquescence. Et ce, en raison du budget insuffisant, mal utilisé ou dilapidé et un management magouilleur. Oui! Un management qui fait peu de cas de la mission du service de santé publique. Gratifié, d'ailleurs, d'un «dégage» qui lui a fait prendre la poudre d'escampette. Sachant que c'est par cet hôpital qu'ont transité bon nombre des victimes de la révolution, tu comprends pourquoi cette région (Kasserine et Thala) a payé un si lourd tribut.
Au détour du service orthopédique, nous rencontrons Wael. Ce jeune de 19 ans a goûté à la révolution dans sa propre chair : une jambe amputée suite à une balle assassine d'un sniper. Oui, une balle à laquelle s'ajoutent des erreurs médicales en série. A un mois d'avoir son sésame pour le chômage, je veux dire son diplôme, Wael se préparait pour concourir pour un cycle long dans l'ingéniorat mécanique, avant de se trouver, pour une année, l'invité de ce sinistre hôpital, le temps d'apprendre à remarcher avec une prothèse. Le plus extraordinaire c'est qu'il reste confiant dans la vie avec des projets plein la tête. Son compagnon de chambre n'est autre que son ami qui, au risque de sa vie, l'a extirpé de la ligne de mire du sniper, pour recevoir à son tour une décharge de ce maniaque de la gâchette. Aux dires des gens, il dansait à chaque cible touchée… par cible je veux dire un être comme vous et moi.
Les urgences sont dignes du service de réception d'une boucherie avec une table d'examen dont la surface fourmille de microbes et parasites, et son appareil de stérilisation aux abois incubant les germes au lieu de les tuer. Les images insoutenables des urgences de Sidi Bouzid vues par Monsieur tout-le-monde, priant pour que cette situation soit une exception, sont la règle dans les urgences des zones sinistrées. Ce ne sont pas les sbires du régime déchu qui ont fait le plus de dégâts. Ce sont ses gratte-papiers arrivistes gérant les hôpitaux et la vie des gens avec une légèreté impardonnable, grattant dans les budgets annuels pour se mettre plein les poches. Autrement comment expliquer qu'on parle, d'une part, de chômage des médecins et que, d'autre part-le nombre de médecins en place se compte sur les doigts de la main : deux sages femmes pour 4.800 naissances par an. Record du monde ? C'est ce service qui a vu passer de vaillants martyrs à trépas faute de matériel fonctionnant normalement. Car sur les quatre blocs opératoires, seuls deux sont fonctionnels pour une histoire d'appareils (scope) ne marchant plus. Mais ont-il vraiment marché un jour ? Une simple opération peut virer en un cas que même le docteur House serait incapable de résoudre.
A la maternité, les mêmes sons de cloche. Cerise sur le gâteau, la climatisation n'ayant pas été bien montée, accoucher l'été devient un véritable chemin de croix dans cette fournaise, tant pour les mamans que pour les médecins. Les cas de grossesses n'arrivant pas à terme dans la région étant important (une étude devrait être faite pour en savoir plus), deux solutions existent : la solution normale consistant à opérer et à dégager le fœtus ou un back plan, en cas de complication, à savoir l'ablation de l'utérus. Comme vous l'auriez deviné, le matériel nécessaire étant aux abonnés absents, on recourt automatiquement à la solution extrême. Cette femme, sans son réservoir à enfanter, n'étant plus bonne à rien, vient grossir la liste des épouses répudiées. A mettre sur le compte des dommages collatéraux.
Et la maintenance dans tout ça me diriez-vous ? On la concentre en train de peindre les devants de l'hôpital en mauve et à mettre de l'ordre dans les halls d'entrée lors des visites surmédiatisées rendant compte de l'efficacité des services publics. Nous avons tous «été trompés» au point de tout absorber. Si le délit du silence complaisant existait, je me déclarerais coupable !
Ce que nous avons vu n'est qu'une partie de la réalité. Les certitudes que nous avions à notre arrivée volent littéralement en éclats, le chemin à parcourir semble insurmontable. Mais les mots du jeune Wael et sa foi en l'avenir finissent par l'emporter sur nos craintes. Bien sûr, le chemin sera difficile mais nous l'arpenterons ensemble. Se trouver ici, à Kasserine, est la première étape de la longue thérapie de notre pays. Il y a beaucoup à faire, tout reste à faire. Une chose est sûre, Kasserine-Tunisie on ne t'abandonnera plus.
P.S.: j'ai eu Wael au téléphone dimanche et il m'a dit que pour la première fois depuis longtemps il a bien dormi… Il sait qu'il n'est plus seul!


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