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« Il faudrait que l'héritage soit équitablement partagé » Entretien avec Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme
Après une longue carrière de journaliste et un engagement actif au sein de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, la plus ancienne organisation de défense des droits de l'Homme dans le monde arabe et en Afrique, Souhayr Belhassen a été élue à Lisbonne en 2007 présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme. A l'époque, à part quelques rares médias tunisiens, l'on s'est peu étayé sur cet évènement. Souhayr faisait partie des persona non grata pour le régime de Ben Ali. Ne s'est-elle pas illustrée en 1993 par cette dénonciation du «silence coupable» du gouvernement tunisien, face à la souffrance des femmes algériennes ? Ce qui lui avait valu d'être expulsée pendant cinq ans du sol tunisien. A son retour au pays, elle fonde le magazine culturel 7 sur 7, dont la durée de vie ne dépassera pas une année. Toutes les ressources publicitaires lui sont interdites : le ton critique et audacieux de la revue déplaît beaucoup aux autorités politiques. Dès le début du soulèvement des Tunisiens, la présidente de la Fidh , qui a fait l'objet d'une surveillance et d'un harcèlement non stop, quand elle occupait le poste de vice-présidente de la Ltdh, a soutenu activement les prémices de la révolution. Ses témoignages dans les médias français et arabes ont aidé à comprendre la situation invivable des droits de l'Homme chez nous et à cristalliser l'adhésion internationale pour la cause du peuple tunisien. Basée actuellement en France, nous l'avons interviewée via Internet. Que la première présidente femme de la Fidh soit Tunisienne. Que la première révolution du XXIe siècle éclate en Tunisie et pas dans un autre pays arabe. Tout cela relève-t-il du simple hasard ? Bien évidemment, il y a une conjonction d'événements qui ont eu lieu et sur lesquels nous ne reviendrons pas. Mais c'est également l'exception tunisienne qui a porté la révolution, c'est-à-dire la première Constitution du monde arabe au XIXe siècle; la première centrale syndicale et la première ligue de défense des droits humains arabe et africaine; un Code du statut personnel qui reste – malheureusement - singulier dans le monde arabe et qui abroge la répudiation et la polygamie; la pilule en vente libre et l'avortement autorisé; l'enseignement généralisé : tous ces éléments font qu'il n'y a pas de hasard. Quel apport peut avoir votre regard de journaliste dans l'élaboration et le traitement de vos missions de défense des droits humains actuelles ? Il est évident, une journaliste enquête, dénonce, mobilise. C'était mon travail d'hier. C'est aussi celui d'aujourd'hui. Etait-ce difficile dans ces années 70 d'exercer le métier de journaliste en Tunisie ? Cela n'a jamais été simple, il y a eu des moments d'ouverture durant les années que vous citez, mais ce n'était que des éclaircies qui se refermaient très vite. Mais cela n'a jamais été aussi terrible que durant ces dernières années où le musellement des médias était général et la liberté d'expression inexistante. Avec l'accès des islamistes tunisiens à la scène publique, pensez-vous que le Code du statut personnel des femmes tunisiennes puisse être remis en cause? Non, les droits protégés par le Code du statut personnel de 1956 sont des acquis. On ne peut pas revenir en arrière. Maintenant, il faut aller au-delà. Les femmes se battent pour que soit maintenue la modernité dans leur pays, ce qui veut dire qu'elles veulent que le Code du statut personnel continue d'évoluer dans le sens de l'égalité et de la liberté pour les deux sexes. Elles veulent continuer à avancer dans ce sens en exigeant que l'héritage soit équitablement partagé. Aujourd'hui, à l'image de l'égalité dans l'enseignement, les femmes veulent aussi que ce principe imprègne la vie politique. C'est pour cela qu'elles sont sur les devants de la scène. Elles savent que de leur combat dépendra l'avenir de la Tunisie. Que faire aujourd'hui pour renforcer la place et les droits des femmes en Tunisie ? D'abord et avant tout, faire en sorte que la nouvelle démocratie tunisienne, que l'on espère voir émerger de ce soulèvement et du mouvement actuel, garantisse l'intégralité des droits des femmes et l'égalité des sexes. Il faut être vigilant en cette période. Il faut rappeler que la défense des droits humains et de la démocratie passe par la défense des droits et des acquis des femmes tunisiennes. Nous partons du principe qu'il ne saurait y avoir de démocratie véritable sans égalité des sexes. Il faut s'assurer qu'il y ait des femmes dans toutes les nouvelles instances politiques. Il faut exiger la parité et, au minimum, des quotas de femmes parmi les élus. Les parties qui se disent démocratiques ne sauraient faire moins bien que l'ancien RCD, l'ancien partie hégémonique au pouvoir qui avait instauré des quotas de 30% dans ses rangs. Nous devons exiger également la réforme des lois qui sont encore aujourd'hui discriminatoires, en commençant par les dispositions sur l'héritage. Il faut soutenir le travail et la lutte des associations de femmes, comme l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (Aftured) et le Collectif Maghreb Egalité 1995, partenaires de la Fidh, qui ont résisté à l'époque de la dictature, et qui ont toujours associé trois mots d'ordre : démocratie, liberté, et égalité. Ces mouvements de femmes sont extrêmement actifs dans cette Tunisie en construction. Actuellement, ils élaborent un cahier des revendications qui permettraient d'assurer l'égalité des sexes et la sauvegarde des droits des femmes dans la Tunisie démocratique. Pensez-vous que les femmes tunisiennes ont joué un rôle important dans la Révolution ? Tout au long de ce mois de manifestations, nous avons vu la présence massive des femmes issues de tous milieux. Et il ne s'agissait pas seulement de celles qui avaient perdu un fils, un mari, ou un proche, tué lors des événements. Nous avons vu que le flambeau des revendications démocratiques et égalitaires a bien été transmis de notre génération à la nouvelle, ce dont nous n'étions pas forcement sûres. C'est rassurant autant qu'émouvant. Cette génération a une énergie et une créativité formidables. Elle l'a démontré dans la rue autant que par les réseaux sociaux et par les blogs sur Internet. Il faut reconnaître aussi le rôle que les femmes ont joué, pendant de longues années, dans la résistance à la dictature, dans la résistance à la répression. Et il est évident que ces femmes vont jouer tout leur rôle dans la construction de la démocratie tunisienne. Peut-on rêver qu'en Tunisie un jour une femme devienne présidente de la République ? Oui bien sûr. Bien que les instances politiques leur aient été fermées, même dans les partis dits démocratiques, elles ont été tout aussi présentes que les hommes tout au long de ces années de résistance. Il est normal qu'elles en cueillent les fruits.