«Jradou aime la vie», «Sauvez nos enfants, nos terres et nos plantes». Ces slogans, entre autres, sont scandés par les habitants de Jradou et bon nombre du personnel de l'unité de collecte et de traitement des déchets située dans la région. Ces hommes qui tiennent à cœur leur village observent depuis quelques jours un sit-in ouvert contre ce qu'ils ont appelé «un crime contre l'humanité» et «une franche atteinte à la terre et au bon sens». En effet, comme le laissent entendre les protestataires, «ce centre de collecte de poisons», inauguré par le président de la République déchu en 2009 et mis en œuvre en 2010, constitue une menace permanente pour les vies humaines et la nature. Vu qu'il collecte et traite des produits toxiques en l'absence des conditions de sécurité sanitaire et environnementale. Selon un employé ayant tenu à garder l'anonymat, des produits comme « les chiffons souillés», «le chlorate de soude», «les déchets solvants halogénées», «les déchets de solvant et de peinture», «l'eau déminéralisée», bref, toutes sortes de produits chimiques périmés, sont traités par un personnel en manque de formation. Sachant que les cadres et compétences de la région : ingénieurs et chimistes sont exclus de la scène afin de garder dans l'ombre les dépassements et les pratiques frauduleuses des hauts responsables de cette unité. Dans ce sens, M.Makram Chaabane, ingénieur électromécanicien et directeur d'usine, souligne que près de 14 tonnes d'acide chlorosylhonique (avec un degré d'acidité d'à peu près 97%), ont été enfouies, il y a un an, à Jradou. Et ce, malgré l'objection de l'ancien directeur d'origine syrienne M.Souhaiel Malhis, du fait de l'absence des moyens nécessaires pour le traitement de ce produit. Ce qui lui a valu l'exclusion, ayant été accusé de propos diffamatoires à l'encontre du président déchu. «La catastrophe est évidemment, pesante et sur le plan humain et sur le plan écologique, surtout que Jradou est à 10 km des zones balnéaires. Autrement dit, les acides écoulés et absorbés par les nappes phréatiques ne font que polluer la terre et la mer, provoquant, par la suite, la disparition des espèces. C'est pourquoi l'on craint tous pour l'avenir de nos enfants et de notre région», affirme notre interlocuteur, avant de nous inviter à observer les unités de stockage pour réaliser l'ampleur de la «catastrophe». Une fois sur les lieux, une odeur pour le moins nauséabonde, voire irrespirable, se dégage de partout dans un paysage sordide et désolant. Lequel paysage contredit remarquablement la verdure et la fertilité des terres de Jradou, cette «perle écologique» qui ne cesse de drainer et de fasciner des touristes venus de partout. «Pire, une centrale de goudron installée dans le même environnement dégage des gaz toxiques néfastes affectant la rentabilité des oliveraies et polluant l'air pur du village», soupire un habitant. Infrastructure défaillante et pertes en gros Sur le plan géographique, l'unité de collecte et de gestion des déchets industriels toxiques relevant de l'Agence nationale de protection de l'environnement (Anpe) et exploitée par le groupe allemand «Nielsen», est à 800 mètres des zones résidentielles. C'est ce que confirme M.Soufiène Ben Chaâbane, professeur de sciences naturelles, pour démentir les déclarations des responsables la situant à deux kilomètres. Il note également que l'eau potable de la région, devenue de coloration rouge, est désormais imbuvable, étant entièrement polluée. «A cause de cette eau contaminée par les acides dérivés des produits toxiques, un agriculteur vient de perdre 55 brebis et 2 vaches. Cela confirme la contamination de notre eau et de notre végétation. Une certitude que certains médias, à l'exception d'une chaîne de télévision, ont abordé à la légère, se plaçant du côté des responsables impliqués dans la misère du village et de ses habitants», observe M.Ben Chaâbane. De surcroît, tout constat fait, l'infrastructure de l'unité est défaillante à plus d'un titre. En effet, les containers destinés au transport des déchets ne sont jamais traités. Et les bassins prévus pour abriter ces produits toxiques ne semblent pas d'une solidité qui puisse protéger les nappes phréatiques. Un constat que l'on tire à partir des fissures qu'on a observées au niveau des bases et des façades de ces constructions. En plus de la couleur jaunâtre repérée au niveau des terres cuites et sur les pierres et les blocs en béton. Tout comme le village et ses habitants, le personnel de cette unité est souffrant. Un employé a abondé dans ce sens : «Je sens des brûlures sur mon visage et j'ai l'impression que tout mon corps est souffrant». Force est de constater, par ailleurs, que les habitants de Jradou ont récemment adressé une lettre au ministre de l'Environnement lui communiquant leurs principales revendications, à savoir la fermeture définitive de cette unité, l'assainissement de la terre et de l'eau et la compensation du personnel atteint. Une lettre jusqu'à présent sans réponse, mais aussi qui peut ouvrir une brèche d'espoir pour ces hommes assoiffés de justice et d'air pur. «Jradou agonise, sauvez notre village», tel est leur message.