Par Hmida BEN ROMDHANE Quand on sait que personne, de l'Atlantique au Golfe, ni parmi les citoyens ni parmi les gouvernants, n'a pris la défense du régime libyen, les insultes ordurières proférées par le fils aîné, pourtant éduqué et diplômé des universités britanniques, sont donc adressées à tous les peuples arabes. Mais s'il ne s'agissait que d'insultes, on aurait traité la chose avec un silence méprisant tout simplement. Le problème est que Kadhafi et son entourage sont devenus un danger mortel pour leur peuple. Le peuple libyen est en danger et la passivité avec laquelle les événements tragiques de Libye sont appréhendés sur le plan international pourrait tomber sous la loi sanctionnant la non-assistance à peuple en danger. Précisons tout de suite que la loi dont il est question ici est une loi purement morale, car aucune personne normalement constituée n'accepte la répression barbare dont sont victimes aujourd'hui nos voisins libyens. Il est pour le moins étonnant qu'en dépit des précédents de la Bosnie et du Rwanda, le concept de peuple en danger n'a toujours pas trouvé sa place dans l'arsenal juridique international. Fût-elle élaborée, une telle loi sanctionnant la non-assistance de peuple en danger aurait sûrement contribué à abréger le calvaire du peuple libyen et à limiter le nombre des victimes. Dans un sens, ce qui se passe en Libye aujourd'hui est plus grave que ce qui s'est passé en Bosnie et au Rwanda dans la dernière décennie du siècle dernier. Dans les cas de la Bosnie et du Rwanda, la problématique ethnique était au centre des conflits: Serbes orthodoxes contre Bosniaques musulmans et Hutus contre Tutsis. Les massacres perpétrés dans les Balkans et en Afrique l'étaient par des groupes sociaux contre d'autres groupes sociaux appartenant à des ethnies ennemies. En Libye, les choses sont radicalement différentes. Le peuple libyen est l'un des plus homogènes du monde. Les tribus qui le composent ne sont pas des ethnies, mais plutôt de grandes familles qui vivent harmonieusement. La preuve est que l'opposition armée qui combat le régime de Kadhafi est multi-tribale, comprenant aussi des milliers de membres de la tribu Gaddaf Eddam, qui a vu l'un de ses membres éminents, Ahmed Gaddaf Eddam, le cousin du "guide", basculer dans l'opposition. En Libye, les choses sont plus graves qu'en Bosnie ou au Rwanda dans le sens où la bataille qui fait rage n'oppose pas deux groupes sociaux, mais un peuple pauvrement équipé et un régime dictatorial armé jusqu'aux dents. Il va sans dire que le régime libyen n'est pas la seule dictature qui a eu à combattre pour garder le pouvoir. Plusieurs dictateurs ont eu à réprimer, parfois sauvagement, leurs peuples dans l'unique but de continuer à jouir des privilèges qu'assure l'exercice du pouvoir. Mais on a rarement vu une telle sauvagerie. On a rarement vu un régime utiliser ses bombardiers, ses tanks et son artillerie lourde contre son peuple rien que parce que celui-ci voulait se faire gouverner autrement. A la détermination de Kadhafi de se maintenir au pouvoir, doit s'opposer une détermination internationale à protéger le peuple libyen. Pour le moment, les deux déterminations sont loin de bénéficier de la même vigueur, des mêmes moyens. Aussi longtemps que ce déséquilibre est maintenu, le peuple libyen continuera à payer le lourd tribut à la dictature qu'il n'a pas d'ailleurs cessé de payer depuis de longues décennies. La réunion hier au Caire des ministres arabes des Affaires étrangères s'est terminée sur une note d'espoir. Outre l'affirmation que "le régime libyen a perdu toute légitimité", la Ligue arabe a mis le Conseil de sécurité de l'ONU face à ses responsabilités en demandant l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne en Libye. C'est une course contre la montre. L'aviation de Kadhafi a déjà repris Ras Lanouf aux rebelles après avoir sérieusement endommagé les infrastructures et les bâtiments de cette ville pétrolière. Bientôt la machine de guerre de Kadhafi prendra pour cible Benghazi. Empêcher les rebelles de cette grande ville de l'est de se faire écraser par les bombardiers d'un dictateur qui a perdu le nord, est le devoir international le plus urgent. Les membres du Conseil de sécurité ne peuvent pas ne pas en être conscients. Ils doivent agir sans tarder. L'aviation civile et militaire de Kadhafi était restée clouée au sol pendant des années suite à l'affaire "Lockerbie". Pourquoi ne le serait-elle pas à un moment où le peuple libyen fait face à un grand danger ?