Le foot rechigne à reprendre. Il veut ses arriérés de télévision, ainsi que ses reliquats du Promosport. Pendant ce temps, les professionnels du cinéma, du théâtre et de la chanson appellent à la reprise, mais pour retrouver subventions et festivals. Paradoxe : reprise ou pas, c'est l'argent de l'Etat que l'on revendique de nouveau. Le vieil «assistanat», en somme. Comme si de rien n'était. Comme au temps, de Ben Ali, quand le sport et les arts dépendaient de la politique des tutelles et de la manne des budgets publics. Notre collègue Sami Akrimi observait, l'autre jour, que le football tunisien est en retard d'une révolution. En fait, d'une démocratie. Il semble bien, à quelques rares exceptions près, que ce soit aussi le cas chez les gens de la culture. Questions maintenant‑: Qu'est-ce qui fait croire aux uns et aux autres que la Tunisie de l'après-14 janvier ne changera ni de culture ni de sports ? Un dictateur a pris la fuite, une dictature a été abolie, une Assemblée constituante est en vue, une Constitution va se mettre en place, une République nouvelle prend forme, un pays entier se reconstruit. Pourquoi tout un édifice politique et constitutionnel est-il balayé de la sorte, et pourquoi des arts et des sports devraient-ils rester en l'état ? Accrochés au passé Prenons l'exemple du football. Sous le régime déchu, on lui désignait ses fédérations, ses présidents de club, on lui répartissait ses ressources, on contrôlait ses infrastructures, on embrigadait ses publics, on orientait ses compétitions, on en usait comme d'un «repoussoir» ou d'une vitrine de prestige, on «régulait» ses «partis pris» et ses «rivalités». Ce football n'était, au dehors, qu'une «saine et libre» activité populaire. Au-dedans, c'était un football «sous main basse». «Clone» de tout ce qui avait cours ailleurs‑; canalisé, ligoté, manipulé, démuni, soumis. Le mot d'ordre, aujourd'hui, est celui de la liberté, de la dignité et de la démocratie. Les présidents de club qui réclament les subsides de la télévision et du Promosport n'ont-ils donc pas à l'esprit que ces mêmes principes vont devoir s'appliquer à eux ? N'ont -ils pas, ne serait-ce un peu, conscience, que le football tunisien pourrait fort bien choisir de se prendre lui-même en charge, en modifiant ses statuts, en optant pour son autonomie financière et administrative, en réglementant librement ses compétitions, en déléguant ses pouvoirs à des fédérations et à des présidents élus ? Dans les années 70, le football portugais, puis le football turc s'étaient engagés sans tarder dans la privatisation, totalement à l'abri des contrôles et des contraintes étatiques. Cela a donné lieu, en moins de deux décennies, à des clubs à la pointe de l'élite européenne et à des sélections nationales disputant des «carrés d'or» de la Coupe du monde. Eh, oui messieurs ! La Tunisie révolutionnaire est bel et bien là, aucune raison que ni vos clubs ni vous-mêmes, restiez, ainsi, accrochés au passé. De quels festivals parle-t-on ? De quelles subventions et de quels festivals parle-t-on encore ? Que l'on sache, les subventions d'aide au cinéma, au théâtre et à la chanson étaient essentiellement tributaires de la décision du ministère de la Culture. Des commissions siégeaient, certes, à cet effet, mais au final, reconnaissons-le tous, qui avait le monopole de la décision ? Que de bons films, que de bons textes dramatiques, que de bonnes musiques, unanimement reconnus et approuvés au sein des commissions, avaient dû «passer à la trappe», pour favoriser tels ou tels candidats recommandés par le palais ou le parti au pouvoir‑! Que de subventions accordées étaient restées sans contreparties ! Si tant est que le système des commissions d'aide à la création puisse encore survivre, ne faudrait-il pas, au préalable, qu'il se soumette à une refonte, dans ses désignations, ses valeurs, ses critères d'appréciation et de sélection? Qui dit ensuite que le gouvernement qui émanera des urnes au lendemain du 24 juillet 2011, sera, lui aussi, un gouvernement interventionniste? On ne le souhaite pas, soit, mais force est d'admettre que le gouvernement actuel n'a que quelques mois d'exercice devant lui‑: peut-il anticiper sur des politiques futures? peut-il disposer, à sa guise, des budgets que lui laisse l'ancien establishment? Passe, à la limite, sur le pactole des aides, mais que faire des centaines de festivals d'été qui lui restent sur les bras? Ne l'oublions pas, non plus, les festivals, à part deux ou trois gros «calibres», étaient des sortes d'entreprises caritatives, à l'intention d'une pléthore d'artistes dans le besoin. C'étaient des festivals de «ralliement», médiocres, organisés au pied levé, qui se gargarisaient de démocratie culturelle, pour tenir sous la coupe du pouvoir publics crédules et musiciens de tout acabit. Sont-ce ces festivals-là que l'on veut reprogrammer? Tels quels, avec les mêmes dépenses, les mêmes protagonistes, les mêmes contenus? Pis : et en faisant appel à un ministère de transition? Soyons sérieux! La révolution tunisienne, dont le monde entier salue les aspirations à la modernité et à la qualité, mérite bien mieux, beaucoup mieux que ces petites flambées quémandeuses, que cette hâte égoïste, irréfléchie, à réclamer des avantages que l'on sait parfaitement indus, injustement distribués. Des arts, des spectacles, des festivals et des artistes nous en redemandons, bien sûr, mais à l'image de la démocratie que nous appelons tous de nos vœux‑: une démocratie du talent et du mérite, qui ne s'entendrait que d'élever le niveau des populations et d'éveiller leur conscience critique.