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Prémonition
Vient de paraître : La faim de Mohamed El Bisatie
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 03 - 2011

Le 15 octobre 2010, à la veille de la Journée mondiale de l'alimentation, le rapporteur spécial de l'ONU à l'époque, Jean Ziegler, a publiquement dénoncé, lors d'une conférence de presse tenue à Genève, le «génocide silencieux» et le «crime contre l'humanité», puisque cent mille personnes meurent chaque jour de la faim. «Il n'y a là, explique-t-il, ni fatalité ni loi supérieure ou décret de Dieu, il y a assassinat. Pour chaque victime de la faim, il y a un assassin, nous sommes en face d'un massacre délibéré, quotidien, qui se fait dans une sorte de normalité glacée… Demain, Journée mondiale de l'alimentation, il n'y a rien à célébrer.»
Bien avant Jean Ziegler, de tels cris contre la faim et la pauvreté s'étaient répercutés, mais en vain, à travers les siècles. Que disait donc Bernanos à propos de ce millionnaire qui «dispose au fond de ses coffres de plus de vies humaines qu'aucun monarque, mais dont la puissance est comme celle des idoles, sans oreilles et sans yeux.» ? «Il peut tuer, voilà tout, sans même savoir qu'il tue. Ce privilège est peut-être celui des démons.» (Journal d'un curé de campagne, p.90).
C'est précisément à ce «privilège des démons» et à ce «génocide silencieux» que nous avions songé en lisant le roman La Faim, de l'Egyptien Mohammed El-Bisatie. Ce livre, qui vient de paraître aux Editions Actes Sud, dans une traduction d'Edwige Lambert, la traductrice attitrée d'El-Bisatie, eut très vite un succès retentissant. Il a été nominé en 2009, pour le Prix international du roman arabe. Il parut pourtant à Beyrouth (2008) et non au Caire. Aujourd'hui, à la lumière des événements qui viennent de secouer l'Egypte, et comme le titre original, Jû'(faim), le laisse entendre, on est tenté d'affirmer que c'était à cause de la censure, tout simplement.
En effet, l'auteur, né à Gammaliya, près de Port-Saïd, est loin d'être un obscur inconnu. Ses premières œuvres apparurent dès 1962. Aujourd'hui, il a à son actif sept recueils de nouvelles et une dizaine de romans, parmi lesquels: Ibtissamat al-Madina (les sourires de la ville) al-Ramadiyya, Mughamarat Hamza (les aventures de Hamza) et Hadith min al-Tabik al-Thalith (discours du troisième étage). Il a en outre collaboré à plusieurs revues dont al-Masa', al-Katib, al-Majalla, et Rose el-Youssef, et fait partie avec un groupe d'intellectuels égyptiens de la célèbre Galerie 68, (Gâlîrî 68 ), une revue littéraire d'avant-garde qui vit le jour dans les années soixante et dont l'un des principaux fondateurs est le romancier bien connu Gamil Attiya Ibrahim, auteur notamment de Al-hidad la yaliq bil-asdiqa' (le deuil ne sied pas à nos amis) et Al-nuzoul ila al-bahr (Descente vers la mer).
Précisons également que les éditions Actes Sud ont déjà publié des ouvrages de Mohammed El-Bisatie : La clameur du lac (sakhb al-buhaira) en 1996, Derrière les arbres (Beyout Wara' al-Ashgar) en 2000, les Bruits de la nuit (Aswat el-Leil ) en 2003 et D'autres nuits, (layâli ukhrâ') en 2006.
Comme la plupart des romans égyptiens, à première vue, le sujet peut paraître d'une banalité affligeante. Trois courtes séquences de la vie quotidienne de trois membres d'une famille villageoise extrêmement démunie : Zaghloul, le père, Sakina, la mère, et Zahir, l'aîné des deux enfants.
«Comme à son habitude quand le pain vient à manquer à la maison, Sakina se lève à l'aube et s'assied à la ‘mastaba'(banquette en dur adossée à la façade d'une maison), son voile roulé sur son giron…Son mari et ses deux fils la rejoignent, encore ensommeillés. Les fils ont neuf et douze ans…A l'autre bout de la ‘mastaba', l'homme se cure les dents avec un brin de paille…» (p.11)
Mais parce qu'elles sont vues, pour ainsi dire, au microscope tout au long du livre, ces séquences prennent vite l'allure d'un réquisitoire en règle. El-Bisatie vire vite de l'humour au caustique :
«Ils se sont endormis tous les quatre le ventre vide, se réveillant par intermittence. Elle a senti, dans son sommeil, que les enfants s'asseyaient, regardaient çà et là autour d'eux, puis se rendormaient. Mais que faire? …» (p.11)
Si, en Occident, le phénomène de la misère a perdu, depuis longtemps, la connotation religieuse qui le rendait supportable, c'est-à-dire, qu'il y avait quelque chose de plus important que la pauvreté, qu'elle était justifiée et compensée par le salut de l'âme, la vie éternelle, dans l'au-delà, il n'en est pas de même dans les pays musulmans. Ce thème et ses connotations religieuses demeurent saillants dans le nouveau roman égyptien. Khaled El Khamissi écrivait dans Taxi, son célèbre roman :
«Le pain quotidien ne t'appartient pas, et l'argent ne t'appartient pas : tout appartient à Dieu. C'est la seule leçon que j'ai apprise dans ma vie » (p. 12) , alors que «le besoin et la faim» au Caire font des ravages : «Le besoin et la faim se sont installés et ont transformé l'être humain en poisson. Aujourd'hui, partout où je passe dans Le Caire, il me semble qu'une odeur infecte de poisson me remplit les narines. J'ai même l'impression ces derniers temps de voir des flaques et des caniveaux le long des rues avec des piranhas qui se préparent à m'attaquer à tout instant. » p.122
El-Bisatie, comme El-Khamissi, montre dans son roman le même humanisme et le même engagement en faveur d'une justice sociale. Malgré cet esprit de renoncement et ce désintéressement qui courent en filigrane dans le roman, pour celui qui sait lire entre les lignes, les conversations et les réflexions n'ont rien d'anodin. Elles prennent vite d'autres tournures, et plus d'une fois, sans crier gare, elles passent de l'anecdotique au religieux ou au politique, pour devenir hautement prémonitoires. Bien que Zaghloul soit un pauvre hère inculte, il aime écouter au café du village les commentaires des étudiants:
«La fois d'avant, ils avaient, comme ils disent, «parlé politique. Toute la soirée ils n'avaient parlé de rien d'autre. La situation du pays, ce qu'il endure, ce qu'il a enduré pendant des siècles. Il lui semblait qu'ils parlaient d'un pays étranger, un pays dont il n'avait rien à faire. Pourquoi notre nation, se demandaient-ils, a-t-elle connu, contrairement à bien d'autres, tant d'années de colonisation, et des pires -les Turcs, les Français, les Anglais, sans compter ce qui nous attend encore ? Cela ne peut venir que de nous, le peuple de ce pays… Nous nous accommodons de toute situation, de tout pouvoir. Où sont les grandes révolutions qui ont éclaté ailleurs, comme nous l'avons lu, celles qui ont chassé l'impérialisme, mis à bas les régimes corrompus ?» p.33
Mais, toujours comme El-Khamissi, El-Bisatie ne manque pas de souligner également les valeurs morales de ses personnages venus du fin fond de l'Egypte, qui restent, même dans l'adversité et le dénuement le plus atroce, fiers et dignes. Compte tenu des tristes réalités sociales, politiques et religieuses qui y figurent, il est possible d'affirmer que ce roman d'El-Bisatie, très poignant, préfigure le récent soulèvement du peuple égyptien. Comme ces laissés-pour-compte s'en prenant aux signes ostentatoires de la richesse et du pouvoir, son livre est un brûlot lancé contre le ‘privilège des démons'.
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Mohammed El-Bisatie, La Faim, traduit de l'arabe par Edwige Lambert, Actes Sud, 128 pages.


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