Investissements agricoles responsables : la FAO forme les encadrants pour mieux accompagner les agri-entrepreneurs    Hiroshima : 80 ans après, un souvenir à jamais gravé    Ahmed Jaouadi, l'or dans les bras, l'ingratitude sur le dos    Donneurs par défaut, refus familial, loi de 1991 : les paradoxes du système tunisien de greffe    Décès : Nedra LABASSI    El Haouaria: les recherches s'intensifient pour retrouver un plongeur disparu    Des feux de forêt ravagent la France et l'Espagne et causent un mort et plusieurs blessés    Sami Tahri réagit aux attaques du député Youssef Tarchoun    A l'occasion du Mondial féminin : une délégation tunisienne au Royaume-Uni pour la promotion du rugby féminin    Tawasol Group Holding annonce un exercice 2023 dans le rouge    À la recherche d'un emploi ? L'ANETI est désormais entièrement en ligne    Création d'un consulat de Tunisie à Benghazi en Libye    Snit et Sprols: vente par facilités et location-vente    Karim Nebli revient sur une plainte pour viol déposée par une touriste britannique à Sousse    Création d'un consulat général de Tunisie à Benghazi    Moins d'inflation, mais des prix toujours en hausse !    Le ministre de l'Equipement accueille le nouveau bureau de l'Association tunisienne des routes    Météo : des températures jusqu'à 37 °C dans le sud !    Kaïs Saïed, Ahmed Jaouadi, mosquée Zitouna…Les 5 infos de la journée    Nafaa Baccari nommé directeur général de l'Agence nationale pour la maîtrise de l'énergie    Mouvement dans le corps des magistrats militaires    Tennis de table – Championnats d'Afrique (U19) : Wassim Essid médaillé d'or    La Tunisie étudie l'initiative onusienne d'échange de dettes contre des investissements climatiques    Vague d'indignation après le retour ignoré d'Ahmed Jaouadi    Pharmacie, pétrole, douanes : l'Inde et la Suisse dans le viseur de Trump    Le Comité National Olympique accueille avec fierté Jaouadi    Reconnaissance de la Palestine: l'Italie pose ses conditions    Ahmed Jaouadi rentre à Tunis sans accueil officiel    Orchestre du Bal de l'Opéra de Vienne au Festival d'El Jem 2025 : hommage magique pour les 200 ans de Strauss    Hajj 2026 : Une nouvelle aventure tunisienne au cœur de la Mecque    Le Théâtre National Tunisien ouvre un appel à candidatures pour la 12e promotion de l'Ecole de l'Acteur    Données personnelles, IA, caméras : ce que changerait la proposition de loi déposée au Parlement    Patrimoine arabe : la Mosquée Zitouna parmi les sites retenus par l'ALECSO    Météo en Tunisie : ciel clair, températures entre 29 et 34 degrés    De Douza Douza à Jey Men Rif : Balti fait résonner Hammamet    Des ministères plus réactifs que d'autres à la communication du président de la République    Un séisme de magnitude 5,7 secoue le sud de l'Iran    Place Garibaldi et rue Victor Hugo : Sousse repense son centre-ville avec le projet Femmedina    Israël : Netanyahu envisage une occupation totale de Gaza, selon des fuites    Ahmed Jaouadi champion du monde à nouveau à Singapour dans la catégorie 1500 m NL (vidéo)    La Nuit des Chefs au Festival Carthage 2025 : la magie de la musique classique a fait vibrer les cœurs    Robyn Bennett enflamme Hammamet dans une soirée entre jazz, soul et humanité    Fierté tunisienne : Jaouadi champion du monde !    Au Tribunal administratif de Tunis    Najet Brahmi - La loi n°2025/14 portant réforme de quelques articles du code pénal: Jeu et enjeux?    Ces réfugiés espagnols en Tunisie très peu connus    Le Quai d'Orsay parle enfin de «terrorisme israélien»    Mohammed VI appelle à un dialogue franc avec l'Algérie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



P pour peuple introuvable
Opinions - Lexique révolutionnaire à l'usage du Premier ministre
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 04 - 2011


Par Yassine ESSID
La semaine dernière, sur les colonnes de ce même journal, un encart publicitaire d'un Egyptien reconnaissant, disait ceci : «Au grand zaîm arabe : le grand peuple tunisien : merci». Dans ce message de gratitude se trouvent associés deux éléments jusque-là antinomiques : le peuple, troupeau docile, manipulable, infantilisé et soumis au paternalisme bienveillant du maître, et le zaïm, leader politique et figure charismatique du paysage politique arabe depuis les mouvements d'indépendance nationale, dont le culte a tant appauvri la vie politique dans nos pays. Le fait qu'ils nous soient présentés dans ce message comme s'il s'agissait de deux entités interchangeables est intéressant à plus d'un titre. Il révèle d'abord une réalité objective : l'histoire d'un mouvement populaire de protestation, né d'un geste de désespérance, a grossi, s'est étendu à tout le pays pour finalement aboutir au renversement d'un régime de dictature, d'une manière spontanée et sans que ce mouvement ne soit adossé à un parti ou guidé par un chef politique. Il révèle également à quel point l'idée d'un peuple sans incarnation du zaïm est insupportable pour l'imaginaire arabe. En chassant le tyran, le peuple a tué le père et, accablé de remords, voilà qu'inconsciemment il le ressuscite.
Examinons de plus près et brièvement l'histoire des vicissitudes du peuple tunisien telle qu'apprise sur les bancs d'école et relayée par l'imposture idéologique pendant un demi-siècle.
Un état de tutelle permanente
Le «Peuple de Tunisie» est entré dans l'histoire comme une multitude assujettie à la domination coloniale. Il a consenti, certes, d'énormes sacrifices pour lutter contre le colonisateur, mais toujours sous la conduite éclairée d'un Zaîm, Bourguiba en l'occurrence, qui demeurait le libérateur incontesté de la nation. Une fois libre et indépendant, enrobant son leader de tout son attachement, ce peuple, qui fut qualifié un moment de «poussières d'individus», est entré dans l'étape de la construction et de l'édification de l'oumma, la nation. Ce sentiment d'appartenance nationale ne pouvait être ancré et développé, dans l'esprit d'un peuple à régénérer, sans l'effort soutenu d'apprentissage et d'éducation prodigué par un dirigeant incarnant la volonté populaire.
Le peuple tunisien s'est engagé ensuite, toujours derrière son tuteur, désormais Combattant Suprême, dans la plus dure des batailles, celle dont on ne connaîtra jamais le dénouement : la bataille contre le sous-développement. Il fut ainsi maintenu par Bourguiba dans un état de tutelle permanente, au point de lui abdiquer son droit à l'exercice de la citoyenneté en lui accordant une présidence à vie, car jamais ce peuple ne fut reconnu assez mûr pour la démocratie ou pour l'exercice de la liberté, demeurant sous le contrôle vigilant d'un parti unique et d'un appareil policier désormais complices.
Chaque déplacement à l'intérieur du pays était l'occasion d'une mise en scène bien agencée mettant en valeur la sollicitude du père de la nation pour son peuple reconnaissant. En s'adressant à celui-ci, sur le mode du «contact direct», il ne faisait pas appel aux citoyens, ni aux électeurs dont les voix seraient individuellement sollicitées, mais au peuple tout entier ayyuha al-cha'b al-tûnusî, toujours au singulier, car en l'absence de toute représentation démocratique, les Tunisiens ne pouvaient exister dans leurs divergences politiques et leurs diversités sociales, mais seulement comme une masse subordonnée et indifférenciée.
Avec l'arrivée de Ben Ali, l'histoire de la Tunisie prend un nouveau commencement, non plus celui de 1956 mais en 1987. Encore en fois l'histoire se fera sans le concours du peuple appelé uniquement à témoigner éternellement sa loyauté pour celui qui est devenu l'Artisan du changement. Dans son document fondateur, qui avait séduit les Tunisiens à l'époque, «l'Artisan du changement» semblait reconnaître enfin la maturité du peuple, le déclarant digne d'une vie politique évoluée en phase avec les exigences des temps présents. Dans la foulée, le PSD s'est transformé en RCD, des partis politiques d'opposition étaient légalisés, et des amendements à la Constitution tendant à limiter l'exercice de la fonction présidentielle furent adoptés. Réduit cependant à recourir aux urnes à la fin de chaque mandat, Ben Ali fera de chaque élection l'occasion d'un plébiscite prouvant l'unité du peuple adhérant en bloc à sa personne. Chaque élection était ainsi un moment de célébration d'une communion entre un peuple et son chef. Sous Bourguiba autant que sous Ben Ali, la souveraineté populaire était ainsi réduite à ces instants de liesses savamment organisées et adroitement orchestrées. Une mise en scène de l'unanimité et de l'accord parfait, exaltant l'adhésion sans limite du peuple envers son bienfaiteur,
Aujourd'hui et pour la première fois dans son histoire, le peuple tunisien cumule à lui seul les titres de libérateur, de zaïm, de combattant suprême et d'artisan du véritable changement. Il a su dans un court laps de temps prendre sa revanche sur un demi-siècle pendant lesquels sa contribution à l'histoire de ce pays fut détournée, confisquée et niée.
Autonomes, souverains et responsables
Le 14 janvier a mis fin à une écriture, disons, destourienne du passé de la Tunisie visant à geler les particularités et figer toutes les identités, ayant pour objectif ultime de faire adhérer tout le peuple tunisien au parti du pouvoir. Force est pourtant de constater qu'à la suite d'un demi-siècle de gouvernement anti-démocratique et liberticide, on n'a pas réussi à éviter ce que, paradoxalement, Bourguiba craignait pourtant par-dessus tout : l'effritement du corps social et la faiblesse de l'Etat. La première véritable secousse de notre histoire est venue ainsi ranimer toutes sortes de revendications qui se sont exprimées sur le mode tribal, régional ou confessionnel, exacerbant d'anciens cadres de solidarités qui n'avaient plus lieu d'être.
Tout le monde s'accorde aujourd'hui à reconnaître l'existence d'un peuple tunisien. Mais lequel ? Celui de Ouled Benyahyia, Akerma, Ouled Abid, Jlass, Beni Zid, Ouerghimma et frechiches, ces derniers réclamant haut et fort leur statut de révolutionnaires et de libérateurs du pays et par conséquent les mieux placés pour en récolter les dividendes ? Celui du littoral Sahélien, au pouvoir depuis l'indépendance et qui se sent sans doute dépossédé? Celui des Sfaxiens réputés puissance entrepreneuriale mais longtemps marginalisés politiquement ? Celui des « Tunisois » longtemps frustrés de leur rayonnement ancestral depuis les Husseinites ? Celui des islamistes qui ne reconnaissent que leur appartenance au credo? Celui des foules de la Place de La Kasbah ? Celui du rassemblement de la Coupole ? Chaque groupement représentant une tendance, une sensibilité, une mouvance particulière ; chaque groupe mu par des intérêts spécifiques. D'où la question lancinante de la reconstitution homogène du corps politique nécessaire à tout Etat moderne ; d'où la difficulté de la représentativité de cette toile humaine hétéroclite et de ces groupes bigarrés générateurs de tensions alors même que l'époque du zaïm, sauveur, bienfaiteur et rassembleur est à jamais abolie. Ceux qui avaient trouvé en Béji Caid Essebsi un dirigeant rassurant, capable à leurs yeux de rendre à l'Etat son prestige et sa pérennité, car hantés par le spectre de la dissolution sociale, sont les nostalgiques d'un Bourguiba devenu pour l'occasion l'incarnation d'un âge d'or mythique.
Sauf que la jeunesse qui proteste aujourd'hui ne se reconnaît pas en ceux qui nous gouvernent. Elle est réfractaire à leur discours, aussi lénifiant soit-il, car impatiente et uniquement en attente de résultats tangibles. Aussi, ceux qui, aujourd'hui, se ruent pour figurer dans la Constituante ou pour créer des partis de poche, moins pour servir l'intérêt général que pour l'attrait du pouvoir, doivent prendre en considération un ensemble de ruptures associées au soulèvement du 14 janvier.
Le peuple doit être désormais envisagé comme un assemblage de citoyens autonomes, souverains et responsables.
Un certains nombre de mouvements sociaux échappent de plus en plus aux institutions dites représentatives : syndicats, unions et corporations ou organisations de sociétés civiles.
On doit cesser de fonctionner avec les mêmes schémas de pensée au moment même où les organes de médiation entre le gouvernement et le public sont dévalorisés et déconsidérées.
Ceux qui seront appelés à diriger le pays et représenter le peuple, se doivent d'être en cohérence avec le changement qui s'est opéré dans la société et dotés d'une grande aptitude à percevoir les aspirations profondes de la société notamment de sa jeunesse.
La jeunesse vit désormais en complète disjonction avec l'univers mental et le système de croyance du régime façonné par l'Etat-parti fondé sur la peur et la soumission.
Enfin le temps est désormais à l'efficacité et à l'anticipation afin d'éviter la menace d'un émiettement immaîtrisable qui susciterait l'ambition de réinventer une souveraineté aussi indivisible et absolue que celle du patriarche et du caïd voyou.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.