Par Saïda MAHERZI* Après l'ère bouche cousue, lavage de cerveau, falsification de l'histoire, voici venue l'ère des grincheux, des jaloux, des dénigreurs... Depuis que la majorité du peuple tunisien, dominé, contrôlé et impuissant à s'exprimer durant 23 ans, se laisse aller, enfin, au bonheur du retour aux sources, synonyme de fraternité, d'intégrité et de patriotisme, surgissent çà et là des épines spécialement choisies pour essayer d'égratigner l'image de Bourguiba. De grâce, mon commandant, vous qui avez été officier supérieur de l'Armée tunisienne, créée à l'aube de l'Indépendance, par ce même homme que vous décriez aujourd'hui, cessez d'évoquer cette sempiternelle expression de «poussière d'individus» que l'on se plaît à ressasser dans un esprit bien déterminé. Alors que dans des lettres, précédemment évoquées parues dans La Tunisie et La France, Bourguiba a relevé, maintes fois et avec fierté, l'héroïsme du peuple tunisien et la gloire de son histoire. La Tunisie d'avant l'Indépendance était ensevelie sous une carapace paralysante d'injustice, de souffrance et d'analphabétisme. Par la profession de mon père, j'ai vécu dans plusieurs régions du pays. J'ai connu le drame des filles impubères sacrifiées à des vieillards, les femmes éternelles esclaves répudiées pour une bagatelle et auxquelles leurs enfants étaient cruellement arrachés par un père polygame ! J'ai vu la misère extrême des êtres ne connaissant ni pain ni lumière, l'absence d'hôpitaux, les rares écoles... et je parle de 1956, et non du moyen âge. Vous dites que Bourguiba n'était pas le seul prisonnier des geôles à rats tunisiennes et françaises, certes, mais il était le chef incontesté et incontestable. N'a-t-il pas sauvé le parti et la patrie par sa lettre historique à Habib Thameur, en mettant en garde contre le rapprochement qui commençait à s'effectuer avec les forces de l'Axe, lettre récemment évoquée par M. Mahmoud Bouali? N'a-t-il pas, en stratège visionnaire, élaboré de son exil le groupe «Onze noir», ces héros de la lutte armée contre le colonialisme, qui ont combattu vaillamment jusqu'à la victoire... Pour Mendès France et Edgard Faure, n'a-t-il pas été le seul interlocuteur incontournable? En tant que journaliste, j'ai eu le privilège d'avoir eu, au bout de mon micro, nombre de ces patriotes qui ont construit, au péril de leur vie, l'indépendance de notre patrie. J'ai même interviewé, figurez-vous, certains citoyens égarés, soudoyés pour assassiner Bourguiba et qui, à la dernière seconde, ont refusé d'accomplir ce crime odieux, alors qu'il était dans leur ligne de mire. Bourguiba, ainsi que vous voulez bien le reconnaître, a mis en place tous les outils pour une démocratie sûre. J'ai fait partie d'un groupe de journalistes ayant suivi le président Bourguiba pas à pas, de 1958 à 1980. En tant que témoin de l'Histoire, je souhaiterais dévoiler le visage ignoré — et combien lumineux — du père de la nation, car c'est ainsi qu'il ressentait ses fonctions. Auditeur assidu de notre émission radiophonique politico-sociale quotidienne, il suivait avec attention, à travers notre rubrique «Courrier», un «plus» de l'évolution et des progrès accomplis depuis la promulgation du Code du statut personnel. Afin de pallier certains abus, de nombreuses lois ont ainsi vu le jour. Quant aux cas humains relatifs à des besoins pécuniaires, en homme de cœur fidèle à lui-même et toujours proche de son peuple, il leur accordait aussitôt une aide émanant non seulement du Fonds spécial de la présidence, mais surtout de ses deniers propres. Que de jeunes, en particulier, ont eu ainsi la possibilité de poursuivre leurs études ! Entre autres… Durant sa présidence, Bourguiba a eu à combattre un danger multiforme qui a mis parfois le jeune Etat en péril. Dans des recueils de souvenirs parus récemment, des personnalités respectées pour leur probité et leur exigence morale viennent de jeter sur ces périodes difficiles l'éclairage de la réalité. Avant de jeter l'opprobre sur un être, du plus humble au plus puissant, tout citoyen qui se veut en accord avec sa conscience, doit remettre les faits dans leur contexte politico-social de l'époque et rechercher la vérité. Cela est valable pour vous, mon commandant, d'autant plus que vous portez le nom d'un illustre nationaliste qui serait chagriné par vos propos. Le 1er juin 1955 ressurgit aujourd'hui de son passé, inondant d'une émotion intense tous ceux qui l'ont vécu. Un jour sans pareil, unique. Un monde venait de naître, rêvé, inespéré, miraculeux… où le drapeau de la patrie flotterait à jamais, seul, sur le socle de la victoire. De cette masse humaine, en folie, venue des quatre coins du pays, jaillissait d'une seule voix un nom: Bourguiba. «L'histoire ressemble plus à l'histoire qu'une goutte d'eau à une autre». Cette pensée d'Ibn Khaldoun reflète, à 60 ans près, la même exaltation que le peuple a ressentie le 14 janvier. Puisse-t-il choisir dans la sérénité un avenir de gloire et de prospérité pour cette terre de fraternité et de générosité.