Par Charles Bilas* Je souhaite m'adresser ici à toutes les personnes qui sont concernées par la mise en valeur et la préservation du patrimoine architectural tunisien ainsi qu'aux nombreux architectes dont le rôle va être de construire la Tunisie de demain, dans une société que nous espérons enfin réconciliée avec la démocratie. Ce double dialogue me paraît indispensable pour affirmer la force du lien qui unit le passé, le présent et l'avenir dans une perspective de continuité harmonieuse. Tout au long de l'élaboration de mon ouvrage (ci-dessous cité - NDLR), j'ai redécouvert un foisonnement formel dont je pressentais instinctivement l'existence, mais dont je n'avais pu jusque-là mesurer l'ampleur. La richesse de ce patrimoine s'illustre à toutes les époques et dans tous les styles, témoignant de façon vivante de cet incroyable creuset pluriculturel qui est l'âme même du pays : sur cette terre, les témoignages glorieux de l'Antiquité côtoient les joyaux ciselés de l'architecture arabo-andalouse et les innovations de l'Occident, les " perles " de l'Art nouveau et de l'Art déco, mais aussi les audaces de la modernité. Je tiens avant tout à rendre hommage ici à tous les Tunisiens qui ont œuvré à ce jour pour la préservation de cet héritage, à tous les amis qui m'ont permis de mieux le découvrir et le comprendre. Si de très louables actions ont depuis longtemps été initiées, tant au niveau des instances publiques qu'au niveau des initiatives privées, le patrimoine a néanmoins pâti d'un état d'abandon, dont les causes sont multiples et sur lesquelles je ne m'attarderai pas. Mon propos est plutôt de lancer un appel à tous ceux qui, amoureux de ce pays, veulent jeter les bases des futures actions à entreprendre pour revaloriser ces trésors longtemps demeurés enfouis ou ignorés du grand public. Les enjeux de cette réhabilitation peuvent être multiples : patrimoniaux, certes, mais aussi sociaux et économiques. A l'heure où les Tunisiens s'interrogent légitimement sur le devenir du pays et notamment sur celui de sa principale industrie : le tourisme, il me semble évident que cette question ne peut continuer de rester éternellement en suspens. Les intérêts purement spéculatifs qui ont bien souvent conduit à des "architectures du non-sens" devront désormais faire place à une vision plus fine, plus attentive à tout ce qui touche la chose publique, dans le sens d'une revalorisation humaine et qualitative. Bien entendu, la question se pose tant pour l'agglomération tunisoise que pour le reste du pays, lui aussi soumis jusque-là aux contingences drastiques du "tourisme de masse". Il me semble qu'il serait à propos de mettre en place des cellules de réflexion, à l'initiative spontanée de toutes celles et de tous ceux qui se sentent concernés par ces questions, afin de dresser dans un premier temps un état des lieux réaliste de la situation actuelle. Cette réflexion aurait pour but de déterminer des actions prioritaires et des orientations générales quant à l'avenir, en sachant que celles-ci se doivent de rester cohérentes, compatibles à la fois avec le souhait de la population et avec les impératifs de l'économie. Ces groupes seraient orientés sur différents axes : certains pourraient s'atteler à jeter les bases d'une nouvelle déontologie de l'urbanisme, d'autres se pencheraient sur les actions à entreprendre pour revaloriser le cœur des quartiers laissés en friche, comme celui de la Petite Sicile à Tunis, pour recenser les lieux à vocation patrimoniale sous-exploités, ou mal exploités, ou encore pour initier un réseau de parcours culturels destinés à faire découvrir à la fois aux Tunisiens et aux touristes l'étonnante diversité des villes… L'enthousiasme qui a guidé ces derniers mois le peuple tunisien sur le chemin de la liberté devrait l'aider à prendre conscience qu'il possède un patrimoine inestimable, à la base même de son identité et de sa fierté : une vaste mosaïque culturelle, dont chaque fragment apporte modestement sa contribution au tout qui l'englobe et lui donne sa raison d'être. *Charles Bilas, architecte et historien, auteur du livre "Tunis, l'Orient de la modernité ", co-publié par les Editions de l'Eclat et les Editions Déméter en 2010, avec des photographies de Thomas Bilanges.