«J'ai été longtemps marqué par toutes les couleurs de la Tunisie; j'en ai gardé un souvenir coloré, exalté, fulgurant, ensoleillé, qui ne m'a pas quitté et qui ne me quitte pas. Par conséquent, c'est plus qu'un souvenir que j'ai transporté, c'est dans l'essence même de ma sensibilité que j'étais marqué par ces couleurs de l'enfance, de la jeunesse et c'est évident que je les retrouve en permanence dans mon oeuvre actuelle». Edgard Naccache, l'auteur de ces mots, repose depuis le 27 mars 2006 au cimetière de Montparnasse, à Paris.(Cf. La Presse du 7 juin 2006). Homme affable, d'une immense culture, il nous avait avoué lors d'une interview (Cf. La Presse du 26 décembre 2003) que sa Tunisie natale, son peuple, ses couleurs éclatantes, son ciel et ses paysages lumineux restaient toujours indélébiles dans son cœur. Faut-il s'en étonner ? Edgard Naccache fut l'un des premiers à avoir adhéré à la devise de Pierre Boucherle, le directeur de l'Ecole de Tunis : «Tous libres mais unis, Sans distinction confessionnelle ou idéologique. Amitié, solidarité et respect mutuel Malgré les différences». En janvier 2004 une rétrospective réunissant 75 de ses tableaux, lui a été, pour la première fois, entièrement consacrée, à la Maison des arts, à Tunis retraçant depuis 1938 sa longue et brillante carrière artistique. Aujourd'hui, plus de cinq ans après sa mort, grâce en particulier aux inlassables efforts de Charlotte, son égérie de toujours, son œuvre est de plus en plus connue et appréciée. Ainsi, on peut aujourd'hui admirer jusqu'au 19 juin, une «Rétrospective» d'Edgard Naccache dans le pays basque, à Ciboure, à la galerie La Nivelle, située face au pittoresque port de pêche de cette bourgade qui jouxte Saint-Jean- de Luz. Cette «Rétrospective» offre un choix très éclectique, mais révélateur de cette recherche sans limites, si caractéristique de la démarche d'Edgard Naccache. En effet, sa manière de peindre n'était pas immuable car il avait toujours pensé, comme Maurice Denis, l'artiste-peintre illustrateur de Sagesse de Paul Verlaine (1889) et du Voyage d'Urien d'André Gide(1893), que le tableau était, avant tout, une «surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées». Comme il le reconnaissait lui-même, Edgard Naccache a commencé par peindre selon son intuition du moment, «sans avoir besoin de références de maîtres», loin des diktats de la mode. Mais, curieux, doué d'un «esprit aventureux», il éprouvait néanmoins le besoin de transformer la réalité qui s'offrait à ses yeux, d'où ces premières œuvres, présentées dans cette «Rétrospective» comme «La barque bleue» et «La Goulette». L'intention de l'artiste de briser l'ordonnance naturelle des choses devient de plus en plus évidente durant la période dite des «marelles», avec «Lune marelle», «Marelle Irlande» et «Marelle grise». Malgré une localisation spatiale épurée à l'extrême, l'absence de perspective et une surface plane, l'univers du peintre reste toutefois temporel, comme l'illustrent ces affiches lacérées, pleines d'effets d'optique éloquents, notamment cet «Hommage à Latour» ou encore «Marlène». Le réel et l'imaginaire s'y mêlent et s'y rejoignent. Désireux de délaisser «les vaines querelles entre abstraction et figuration et les étiquettes restrictives», les responsables de la galerie La Nivelle ont tenu à ce que la «Rétrospective» dévolue à Edgard Naccache, offre également d'autres œuvres, conçues pour la plupart sur le tard, et qui témoignent de l'engagement d'un homme de plus en plus interpellé par l'actualité, comme cette immense rose sous un fil de fer barbelé, rappelant la souffrance du peuple chilien sous la didacture de Pinochet. Qu'aurait-il donc imaginé pour immortaliser la «Révolution du jasmin» que vient de vivre son pays natal?