Par Fethi FRINI Les notaires, nos honorables Adouls ,cette sacrée paire de bonshommes, qui auraient fait de l'honnêteté une noble profession comme d'autres de la malhonnêteté un sale boulot ,les notaires se rappellent déjà à notre souvenir. Nous leur devons certainement la vie .N'était-ce pas par leurs bons offices que nos parents convolèrent en justes noces? Ou qu'ils acquirent, bien plus tard ,le toit sous lequel nous sommes nés ,nous avons grandi puis mûri? Ou bien alors les oliviers , les orangers ou les palmiers qui nous nourrissaient de leur précieuse sève? Depuis quelque temps ,cette corporation, traditionnellement discrète, à qui son propre code de déontologie interdit toute publicité, au point qu'on ne lui reconnaît aucune participation à une activité sociale ,aucune adhésion à une association ou alors un quelconque engagement politique ,tenant à demeurer au-dessus de tout soupçon, même favorable, eh bien, la corporation parle et fait parler d'elle. Une sourde mais réelle menace, estime-on, plane sur leur profession :il y aurait ,paraît-il, péril en la demeure. Depuis, très longtemps et jusqu'au tout début du XXIe siècle, chaque famille de " beldia" avait son "Adl" attitré, comme elle avait son toubib ou son guérisseur. Traditionnellement terrés dans de minuscules échoppes, au fin fond de la Médina , d'honorables cheikhs à la barbe fleurie ,arborant une jebba en soie cardée et un burnous en laine ,coiffés d'une chéchia rouge écarlate; ou ,à la rigueur ,pour les adouls nouvelle tendance,vêtus de costumes sombres , surmontés de cravates en soie et le visage empreint de la solennité habituelle aux croque-morts, désormais, plus rien de tout cela. Autres temps, autres mœurs, on reconnaît de plus en plus nos honorables notaires, généralement officiant en duo ,dans des bâtiments cossus ,ayant pignon sur rue, non sans avoir au préalable pris soin d'inscrire leur nom sur des plaques en cuivre apposées à la porte de leurs études, depuis, richement agencées . L'on découvre plutôt de jeunes gens "new-look", à l'allure sportive, l'air décontractés, fort entreprenants, drôlement diserts, dans des bureaux cossus ,meublés avec goût et recherche, flanqués d'une belle secrétaire trônant derrière un lap-top dernière génération ,conditions de travail à faire pâlir d'envie un grand avocat d'affaires. La corporation aurait rajeuni ses cadres tout en restant fidèle à sa mission millénaire mais entrant, de plain-pied, dans le siècle de l'électronique et de l'informatique tout en veillant à garder intacte leur signature spécifique, inimitable, la fameuse "Khanfoussa" . A remarquer que jusqu'à une époque récente ,le notariat ,fonction sérieuse s'il en faut ,était exclusivement réservé aux hommes. Il n' aurait pas fallu attendre longtemps pour en accorder l'accès aux femmes. Depuis plus d'une décennie déjà ,la gent féminine s'y est engouffrée, comme dans bien d'autres domaines traditionnellement réservés aux hommes. Aujourd'hui, elles sont quelques dizaines de notaires ou Adla, tout au plus et elles n'en sont pas encore au stade de la parité hommes-femmes. Voix au chapitre Les notaires, sortent enfin de leur obligation de réserve ,disons de leur silence, devenu bien pesant, se font photographier ,interviewer même au cours des manifestations et des sit-in, qu'ils tiennent désormais sur la grande place, ou dans les salles des pas perdus de nos tribunaux, passent enfin à la radio et à la télévision ,allant même jusqu'à faire la Une de nos journaux. Et ce, à l'instar d'ailleurs de bien d'autres corporations ou de corps constitués qu'on n'avait jamais imaginer un instant voir faire le haut de l'affiche. Si nos notaires ont décidé enfin de bouger, c'est à dessein :pouvoir alerter les pouvoirs publics et, partant, sensibiliser l'opinion publique ,pour leur faire comprendre que les notaires ont bel et bien voix au chapitre ,qu'ils ne sont plus ce qu'ils étaient,qu'ils sont bien présents sur la place. Et qu'ils entendent bien le demeurer. Aujourd'hui, les quelque 1.000 notaires, inégalement répartis sur tout le territoire ,se plaignent déjà de la désaffection du grand public. Non pas qu'ils n'auraient plus la cote ,mais leurs précieux services coûteraient drôlement cher, aux yeux du public, et qu'ils auraient encore à soutenir la concurrence effrénée de leurs homologues parmi les autres auxiliaires de justice, particulièrement les avocats. On ne franchit la porte de leurs étude que pour l'achat d'un bien immobilier immatriculé auprès de la Conservation de la propriété foncière ,parce que c'est obligatoire,tout comme d'ailleurs pour l'avocat. Quant aux héritages, un grand nombre de Tunisiens meurent intestats. Comme ils doivent tout de même répartir les successions ,apurer les passifs, faire payer les droits fiscaux, les bénéficiaires découvrent que l'office notarial n'est pas un élément du folklore. Une telle ignorance est surtout répandue dans les grandes villes où il semblerait que l'on ait perdu les notaires de vue. Dans les campagnes ,dans les médinas ou les villes de l'intérieur, on fait habituellement plus confiance aux notaires. S'agissant surtout d'un fils du bled ou d'un proche. Levée de boucliers Les notaires certes brassent bien des affaires .Mais ce sont celles de leurs clients. Et passent, au regard du fisc, pour de gros contribuables, mais tout en bas de l'échelle ,gagnant autant sinon un peu plus qu'un cadre supérieur de l'administration . Or, ils investissent tout leur avoir pour se payer une étude digne de ce nom. Et, semble-t-il, leurs charges seraient assez lourdes et qu'ils n'en auraient à peine que pour leurs frais. Car ,même dans cette classe de notables, il y aurait un prolétariat. Pas beaucoup de travail, du moins lors de la saison morte ,l'hiver ,où les transactions immobilières se raréfient comme une peau de chagrin,pour repartir de plus belle, quand vient la haute saison, propice aux hyménées et aux transactions. C'est ,pour les gens de la corporation, tout de même une place au soleil et un certain prestige parmi la classe laborieuse. Il n'empêche que nombre d'études non viables ont fermé leurs portes au motif assez souvent invoqué : raison de santé ou alors pour décès. Les grandes familles se désagrègent ,constate-t-on avec mélancolie. On ne fait même plus de contrat de mariage à domicile en raison de l'exiguïté de nos demeures. On préfère plutôt la mairie où le coût est moindre. Cela parce que le monde bouge et certaines régions, en se dépeuplant, tendent à les oublier dans leurs études désertes, livrés à eux-mêmes. Les victimes de la conjoncture morose, s'ils sont pour la plupart, encore jeunes ,auraient tout de même la possibilité de créer une étude dans une ville nouvelle après avoir accompli les formalités d'usage et où l'on ne débourse que les frais d'installation. Il faut néanmoins respecter, entre autres, le quota imposé par les règlements en vigueur. Ils se consolent quand ils rédigent des actes de propriété et de ventes immobilières, parfois, à longueur de journée. Du moins on l'espère pour eux ,par les temps durs qui courent. Mais aujourd'hui, l'immobilier ,comme le reste, ne va pas fort surtout qu'il y a la concurrence rude avec les avocats dont ils leur revendiquent une bonne part du marché et dont le projet de réforme en cours de la profession d'avocat a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ils y voient une tentative pour s'approprier ,pour leur "rafler" plutôt ,une de leurs principales tâches, disent-ils, leur chasse gardée, à savoir la rédaction des actes notariés. La profession subit, en effet, la crise comme les autres. De plein fouet. Ils comptent bien la préserver, veiller à sa pérennité.Contre vents et marées. D'où la levée de boucliers. Certes, on verrait, peut-être bien, les notaires défiler dans la rue ou manifester devant le ministère de la Justice en brandissant des pancartes. Mais à leur manière toute particulière , ils se seraient déjà retirés de l'une ou des deux instances représentatives, issues de la Révolution du 14 Janvier 2011 …Et ils se seraient même refusés, une fois, de poursuivre les négociations ,à cet égard, avec le ministre de la Justice. Il y aurait bien d'autres moyens de pression. Des crises, plusieurs corps de métiers en ont bien vu. Ils en verront bien encore. De par leur rang ,de par leur statut social, leur discrétion légendaire, peu habitués aux manifestations de la rogne et de la grogne, ils n'auraient guère l'embarras du choix… des armes.