En Tunisie, la tradition veut que les préparatifs pour la saison des mariages commencent dès le mois d'avril, et parfois avant. Nous avons constaté ces deux dernières semaines que des foires sont organisées un peu partout pour vendre les meubles et les trousseaux de mariage. Mais notre pays vit une situation exceptionnelle, cette année. L'été s'annonce « chaud » en politique ; le sera-t-il pour les futurs mariés ? Et puis, n'est-on pas en droit de redouter une « année blanche » pour ce qui est des mariages, surtout lorsqu'on se rappelle que des dizaines de milliers de jeunes en âge de se marier ont déjà émigré clandestinement vers l'Europe (plus de 30.000 depuis janvier) ou bien attendent d'être embauchés dans le cadre du recrutement des diplômés (plus de 150.000) ? De plus, d'ici le mois de juillet prochain, personne ne garantit vraiment que la situation sécuritaire se stabilise enfin dans le pays. La préparation du grand rendez-vous des élections de la Constituante (« noces » bien particulières !) risque de prolonger l'incertitude quant au retour d'un calme rassurant dans le pays. Ramadan, ne l'oublions pas, succède immédiatement à cette échéance. Or, chez nous, ce n'est pas pendant ce mois qu'on se marie d'ordinaire ! A moins que l'été 2011 fasse l'exception ! Mais qui sait ? Peut-être que des signes apparaîtront dans les jours à venir et réconforteront les Tunisiens. En tout cas, le gouvernement intérimaire de Béji Caid Essebsi s'attelle depuis quelque temps déjà à la réalisation de cet objectif. Y parviendra-t-il avant fin juin ou bien nous décevra-t-il comme les deux gouvernements qui l'ont précédé ? Les candidats au mariage, eux, croisent les doigts ! Encore faut-il que le coût de leur projet ne soit pas trop décourageant. Nous avons pour notre part fait le tour de quelques magasins pour nous enquérir des attentes des marchands pour l'été prochain, et surtout des prix qu'ils proposent. Nous avons aussi rencontré un jeune Tunisien qui tient, en dépit de sa situation de chômeur, à célébrer ses noces cet été.
Lassâad Grouz (bijoutier) : « Restons optimistes, mais difficile de baisser nos prix »
« Nous avons beaucoup d'appréhensions en effet. Nous passons par une mauvaise période ; tous les commerces et tous les secteurs économiques, en fait, connaissent la crise depuis le déclenchement de la Révolution. Mais nous demeurons optimistes quand même et souhaitons que cette mauvaise passe prenne fin le plus vite possible. Pourvu que les prix de l'or ne montent pas trop ; plusieurs pays préfèrent stocker ce métal précieux et ne se fient pas aux cours de l'Euro et du Dollar. Le cours de l'or est toujours en hausse. En conséquence, nos prix varieront en fonction des tarifs internationaux, et puis nous avons des charges à honorer. Je ne pense pas que les bijoux se vendront moins cher, cette année. »
Jaouher Chiha (vendeur dans un magasin de meubles): «Nous nous en sortons quand même !»
« Révolution ou pas révolution, le Tunisien n'y prête pas beaucoup d'intérêt quand il veut se marier. Il sait trouver l'argent nécessaire pour un tel projet. N'oubliez pas non plus que dans plusieurs couples, c'est la femme qui se charge des frais les plus lourds du mariage. Nos filles sont plus économes que nos garçons. Donnez dix dinars à un garçon, il les dilapidera en un temps record. La fille en mettra toujours quelque chose de côté. Pour ce qui est de nos prix, ce n'est pas nous qui en décidons. Le bois coûte cher, son travail et son transport aussi. Nous calculons nos tarifs en fonction de tout cela. Toujours est-il que nos affaires marchent relativement bien malgré le contexte actuel. Regardez ce client, il est sans emploi et pourtant, il se marie. On est en train de lui emballer une chambre à coucher payée cash. Allez l'interroger si vous voulez ! »
Zoubeir Salhi (maîtrise en mécanique, sans emploi): «Chômeur et pourtant, candidat au mariage !»
« En effet, je suis de Thala (gouvernorat de Kasserine) et descends d'une famille modeste. Mon père est décédé depuis une quinzaine d'années et nous sommes restés longtemps sans ressources, dans la famille. Mon diplôme date de 2005 et j'ai 33 ans, ma fiancée aussi avance dans l'âge. C'est une parente à moi et je ne veux pas la perdre ; c'est pourquoi j'ai décidé de fêter notre mariage en dépit de ma situation de chômeur. Nous vivrons sous le toit familial et subviendrons à nos besoins avec les 200 dinars qu'on m'octroie dans le cadre du programme « Amal ». Quant au prix de cette chambre à coucher (1650 dinars), je me le suis procuré en vendant un lot de terrain hérité de mon père. Je voudrais aussi acheter une bibliothèque pour peu que le marchand me fasse un bon prix. J'aurais dû acheter tout ça à Kasserine. Mais là-bas, les magasins ont tous été pillés. »
Samia Jemaï (vendeuse dans un magasin de robes de mariées): «Aucun motif d'espoir dans notre secteur»
« Non, dans notre secteur, la situation n'est pas du tout rassurante. Déjà comme vous voyez, on est samedi et les clients nous font défaut. Les magasins du voisinage ne sont pas mieux lotis. En vérité, c'est toute l'économie du pays qui est en crise. Nous sommes un maillon de cette chaîne, la récession ne peut donc pas nous épargner. Si dans le secteur de l'immobilier, on vous a dit que les affaires roulent relativement bien, c'est peut-être vrai. Les candidats au mariage anticipent sans doute d'éventuelles hausses des prix et achètent à moindre coût. Le commerce des robes de mariées est plus ponctuel et c'est en dernier lieu qu'on pense à acheter ces habits de noces. Nous appréhendons d'autant plus la prochaine saison estivale que les Tunisiens s'y occuperont davantage de politique. Ces élections de l'Assemblée Constituante tombent au mauvais moment pour notre commerce. Ajoutez-y le mois du jeûne ; quels motifs d'espoir avons-nous ? Quasiment aucun ; mais nous souhaitons quand même que la saison des mariages nous garantisse au moins de toucher nos salaires et pour notre patron qu'il trouve de quoi payer ses charges les plus urgentes. » Propos recueillis par Badreddine BEN HENDA